Ce jour-là tout Paris s’était dit tiens, il pleut, et si on allait voir le nouveau centre commercial de Beaugrenelle. A peine entré dans ce qui ressemblait surtout à une termitière en plein inventaire de son tertre, l’on cherche surtout un endroit où se garer pour éviter d’être happé par le ruban humain qui piétine d’impatience de long en large et de bas en haut.
Agoraphobes passez votre chemin. Il suffit de s’accouder sur l’une des rambardes centrales pour se laisser rapidement hypnotiser par cette foule en circuit fermé qui entre et sort de notre champ de vision comme si c’était un écran de cinéma. Il y eut une période où ce genre de « mall », comme disent les anglo-saxons, était en France totalement nouveau.
A l’époque où l’on allait encore chercher son lait frais et ramener ses consignes de rouge à l’épicerie, « ils » avaient inventé Parly 2 du côté de Versailles ou du Vésinet. C’était chic et neuf et les appartements résidentiels voisins étaient dotés de coffres-forts ce qui, à la fin des années soixante, posait un peu le client.
De nos jours on ne s’en étonne plus et avec raison. Le genre a fait florès. Il y a bien deux trois trucs architecturaux à Beaugrenelle qui déclenchent quelques « t’as vu » et aussi quelques obturateurs de téléphone, mais cela ne va guère plus loin.
Encore une chose qui n’existait pas, au passage, l’obturateur de téléphone. Au point où en est d’ailleurs, on pourra bientôt filmer l’anniversaire de la petite avec un sèche-cheveux et téléphoner parallèlement avec sa brosse à dents mais c’est déjà possible avec les Google Glasses alors il ne vaut mieux pas rigoler trop fort.
Bref ce centre, à l’heure de pointe, donne davantage envie d’en sortir que d’y entrer. En extérieur nuit par contre, vu du pont qui rejoint Radio France sur la rive droite, ça a malgré tout une certaine gueule ce qui fait que derechef on sort l’appareil photo. Un choix tout à fait baroque répétons-le, alors qu’il existe encore une fois de très bons grille-pain tout à fait à même de prendre un cliché équivalent. Pour ceux que ça intéresse, c’est le grille-pain 15 millions de pixels, qui nous fait de beaux fichiers images JPEG dorés sur tranche, à tartiner ultérieurement sur Photoshop.
Là, du dehors, nous attendait une petite surprise. Car dans la nuit parisienne bien éclairée, le temps de pause est plus long et les voitures ont vite fait sur la photo de se transformer en sillage rouge ou blanc selon qu’elles sont prises de face ou de dos.
Et du pont toujours, le halo d’un réverbère situé entre les deux parties de Beaugrenelle se transformait alternativement soit en poisson exotique soit en oriflamme. Le temps de pause lui multipliait la surface par vingt et c’était bien joli à observer sauf que personne ne regardait cette partition lumineuse en solo. A L’heure qu’il est, du moins passé la tombée du jour, le phénomène se produit encore, ce qui n’oblige pas à pénétrer dans le centre commercial mais qui permet de dire oui, j’ai été à Beaugrenelle et savez-vous ce que j’ai vu. Un poisson lumineux.
Pour compléter votre article, il faut lire le prophétique livre de JG Ballard « Que votre règne arrive » (Denoël). La multiplication de ces grands centres de la consommation (Beaugrennelle, So Ouest, etc…) à l’ère où les classes moyennes, lassées du ping-pong de la démocratie « représentative » (un coup à droite, un coup à gauche… et la partie continue), s’orientent vers du « brutal » (cher à Audiard/Lautner), devrait rendre réelles les projections de JG Ballard…
Très joli poisson volant, une espèce que l’on croyait disparue des eaux seinoises.
Drôle et magnifique !