S’il est un sentiment que Pierre Assouline parvient à la perfection à faire partager à la lecture de son dernier ouvrage, c’est l’ennui. Sigmaringen, comme on peut s’en douter, ne nous conte pas les délices touristiques de ce bourg du Bade-Wurtemberg, dans le Sud de l’Allemagne, ni les aventures romantiques de jeunesse de l’auteur outre-Rhin, fantasmées ou pas, autant de sources de scénario qui pourtant n’auraient certainement pas manqué de piquant sous cette plume.
Non, l’auteur tourne ici bien sûr autour de ce pathétique, de cet interminable exil du régime de Vichy à Sigmaringen. Entre septembre 1944 et avril 1945, l’enclave française y a fait mine de diriger le pays, tout du moins de préparer l’avenir, pour le temps tout proche où le Reich ayant fait sortir de terre ses armes secrètes repoussera l’offensive ennemie.
Triathlète des mots, tour à tour écrivain, historien, journaliste, Pierre Assouline nous embarque pour assister aux premières loges à cette farce, cette dramatique comédie du pouvoir. L’auteur connaît ce conflit, il ne cesse depuis des lustres de nous le faire voir par son petit bout de la lorgnette, tant de ses ouvrages l’abordent, des biographies d’Henri Cartier-Bresson, de Gaston Gallimard, d’Hergé, de Lucien Combelle, de Jean Jardin, à celles des Camondo ou des Rothschild. De précieux témoignages, toujours érudits. Même la biographie d’Albert Londres n’y échappe pas, le journaliste certes décédé en 1932 étant natif … de Vichy. Quelle obsession !
Retour à Sigmaringen. Voilà Vichy qui fait ses valises et débarque à l’aimable invitation des autorités allemandes, dans ce château occupé depuis des siècles par les Hohenzollern. Ces derniers sont invités à faire place nette pour accueillir la France en déroute. Place nette, pas tout à fait, et c’est là que l’historien cède non sans dommages la place à l’écrivain, au romancier même.
Le prince a laissé à son poste Julius Stein, majordome en chef du château et qui devient le narrateur de Sigmaringen. Grâce à celui qui peut « tout entendre sans rien écouter », qui entend mener à bien sa mission de préserver l’intégrité de la maison, des livres de la riche bibliothèque jusqu’à l’argenterie, des meubles aux apparences, Pierre Assouline est partout dans le dédale des centaines de pièces, toujours au bon endroit au bon moment.
Las, Julius Stein n’est qu’un homme, soumis aux plus charnelles tentations. Qu’on se rassure tout de même, rien n’est écrit, tout est suggéré, mais c’en est déjà trop. Quand la romance entre dans le château, Sigmaringen perd de son attrait, d’autant plus au regard du dénouement. Que nous dit alors Julius Stein ? Que sa princesse « s’enfonça dans son fauteuil en osier, respira profondément et laissa son regard se perdre au loin vers la boucle du Danube ». Qu’il la « sentait prête à tout pour adoucir le cours du temps » ou qu’il « aurai(t) voulu lui demander où elle s’était cachée pendant toute (s)a vie ». Non, Pierre Assouline, tout de même, ce n’est pas sérieux.
Je pinaille bien sûr, et l’ouvrage reste tout de même un témoignage non dénué d’intérêt sur la chute tant de Vichy que du Reich, toujours sous un angle particulier. On se régale des mœurs à la cour, le Maréchal Pétain totalement absent, enfermé en son donjon en dehors du temps de la promenade. Lui et Pierre Laval, le chef du gouvernement à Vichy, se détestent et s’évitent. Mais les deux hommes n’apparaissent que rarement. Au château cohabitent surtout les ministres « endormis », ruminant leur gloire passée, et les « réveillés », ceux qui font encore semblant de croire au retour si ce n’est triomphal au moins gagnant. En ville, des centaines de civils ont suivi le mouvement, comme des sangsues. Parmi eux, le bon docteur Destouches, qui soigne nuit et jour sans relâche et gratuitement. Louis-Ferdinand Céline, puisque c’est de lui dont il s’agit, n’est pas là par sa propre volonté mais parce que « les terroristes (lui) ont foutu la mitraillette au cul ».
Tous ces acteurs s’épuisent à petit feu, pantins outre-Rhin. Pierre Assouline a semble-t-il pitié de ce cirque misérable.