On a tous en mémoire la scène finale de « La Mort aux trousses » d’Alfred Hitchcock. En trois plans il nous offre en effet un des raccourcis le plus génial du cinéma. Cary Grant est perché sur la tête de l’un des quatre Présidents fondateurs des Etats-Unis sculptés dans les monts Rushmore. Il tend la main et tente d’attraper celle d’Eva Marie Saint suspendue dans le vide. Il s’en saisit enfin, il la tire. Plan serré sur les deux mains puis plan large, Cary Grant / Thornhill tire Eva Marie Saint/ Eve Kendall vers la couchette supérieure d’un wagon-lit, en lui disant « come on, Mrs Thornhill! ».
Il l’embrasse, un, deux, trois secondes jamais plus, plan aérien du train qui pénètre dans un tunnel. Il fallait tous le génie du maitre pour contourner par une ellipse très sexuelle le code Hays qui dictait encore en 1959 sa morale au cinéma américain. Et la morale, ce n’est pas deux personnes non mariées dormant dans un même compartiment de train. Aussi, les producteurs insistaient-ils pour que le personnage interprété par Cary Grant ait une réplique indiquant qu’il avait épousé sa partenaire. Puisqu’il en était ainsi, Hitchcock, irrité par ce respect des convenances, décida d’introduire le plan symbolique du train, le seul de sa carrière, avoua-t-il à François Truffaut.
On ne plaisantait pas avec le code de censure du cinéma américain régissant la production des films, établi par le sénateur William Hays, président de la « Motion Picture Producers and Distributors of America » en mars 1930. Il fut appliqué à partir de 1934, quatre-vingt ans cette année, et resta en vigueur jusqu’en 1967, bien qu’il ait perdu de sa force à partir du milieu des années 50. Il fut remplacé par le « X » bien connu. Pour ce qu’il en est dans « La Mort aux trousses », le deuxième chapitre du Code est très explicite : « l’institution du mariage et l’importance de la famille doivent être respectées. Les films ne doivent pas suggérer que des formes viles de relation sexuelle sont acceptées ou communes. » Et toc Alfred !
De même, les scènes de passion, « ne doivent pas être montrées sauf si elles sont essentielles au scénario. Les baisers excessifs ou lascifs, les caresses sensuelles, les positions et les gestes suggestifs ne doivent pas être montrés. » On peut faire l’expérience quand on regarde une scène de baiser dans un film de l’époque. On ne voit pas réellement les lèvres se toucher et surtout, comptez trois secondes, vous pouvez être certain que le plan ne durera jamais plus longtemps.
Le cinéma américain est passé du spectacle forain dans les années 1890 à une industrie très lucrative en moins de vingt ans. Seulement voilà en réponse à une certaine licence se sont dressées des associations puritaines qui y voyaient l’œuvre du diable.
Le premier retrait d’un film d’une salle a lieu en 1907. En 1915, il existe environ 300 commissions de censure aux Etats-Unis. La production doit absolument s’organiser mais les réalisateurs forts de leurs succès commerciaux refusent de rentrer dans le droit chemin et tournent nombre de films non politiquement correct dirait-on aujourd’hui.
Avec le succès, la pompe à dollars fonctionne à plein débit, vient aussi le temps des scandales. Un acteur Fatty Arbuckle est soupçonné de la mort de l’actrice Virginia Rappe, lors d’une soirée « de débauche » à San Francisco, en 1921. Le décès crapuleux, en 1922, de l’acteur et producteur William Desmond Taylor, sur fond de bisexualité et la mort par overdose de l’acteur Wallace Reid en janvier 1923, font paraitre Hollywood comme un lieu de perdition et de débauche. Les feuilles à scandale s’en donnent à cœur joie. Olive Thomas, Barbara La Marr, Jeanne Eagels puis Alma Rubens autant d’acteurs aujourd’hui inconnus vont mourir de trop de drogue. L’industrie naissante du cinéma hollywoodien est ébranlée. Cela conduit, en 1922, à la création de la Motion Pictures Producers and Distributors Association (devenue la Motion Picture Association of America en 1945), présidée par l’avocat William Hays.
La première mesure de Hays est d’imposer un certificat de moralité pour toute personne apparaissant à l’écran. En 1927, il dresse une liste de sujets et de thèmes que les scénaristes doivent éviter. L’avènement du cinéma parlant appelle à la révision ou à la précision des règles d’autocensure.
Établi en 1930, appliqué à partir de 1934, le « Motion Picture Production Code », que l’on appellera le « code Hays » formule un ensemble de règles particulièrement puritaines. Mais entre un code interne et la menace de voir se multiplier des commissions de censure, les patrons de l’industrie, n’ont pas le choix. Il collaboreront donc à la rédaction d’un guide d’autocensure pour la communauté hollywoodienne.
Les Etats-Unis sont un pays raciste, or la quasi-totalité des grands studios américains sont dirigés par des juifs souvent de première génération, Luis B Mayer, les frères Warner (la Warner Bros), Adolph Zukor (Paramount), William Fox, Joseph Schenck (dont la fusion entre Fox Films et Twentieth Century Pictures donnera la Twentieth Century Fox), Samuel Goldfish, Edgar et Archibald Selwyn (MGM), sans oublier, Irving Thalberg, celui qui inspira « le Dernier Nabab » de Francis Scott Fitzgerald et enfin David O. Selznick. Tous des émigrés fuyant la misère et les persécutions et qui n’avaient sans doute pas envie de se heurter aux activistes catholiques. C’est Irving Thalberg qui écrivit en parti le code, Hays jouant les arbitres.
Le Code va largement au-delà du simple respect de la morale publique. Ainsi le « mélange des races (les relations sexuelles entre les races blanche et noire) est interdit. Il est précisé que l’hygiène sexuelle et les maladies vénériennes ne sont pas des sujets appropriés au cinéma. La naissance d’un enfant, directement ou en silhouette, ne doit jamais être montrée.
La nudité complète n’est jamais permise. Ceci inclut la nudité réelle et en silhouette, ainsi que les remarques où allusions luxurieuses ou licencieuses d’autres personnages du film à ce sujet. On sourira du fait que les danses lascives et les costumes trop révélateurs sont proscrits [ce qui interdit par exemple de montrer le nombril dans les danses orientales].
Aucun film ou épisode ne doit se moquer d’aucune foi religieuse. Les membres du clergé ne peuvent pas être dépeints comme des personnages comiques ou malfaisants. Par contre vous avez intérêt à faire votre lit, en effet la présentation des chambres à coucher doit être dirigée par le bon goût et la délicatesse. Ca doit bien se trouver une bonne noire pour ranger tout ça.
Le Code Hays dans le texte
[Les remarques entre crochets et en italiques, comme celle-ci, sont des commentaires et des explications.]
Si les films racontent des histoires qui peuvent affecter des vies pour le mieux, ils peuvent devenir la force la plus puissante pour l’amélioration de la condition humaine.
Code d’éthique qui régit la production de films parlants et muets, formulé et adopté par The Association of Motion Picture Producers et The Motion Picture Producers and Distributors of America en mars 1930.
Les producteurs de films reconnaissent que le cinéma est une forme universelle de divertissement et que les spectateurs du monde entier leur accordent une grande confiance.
Cette confiance fait en sorte qu’ils reconnaissent leur responsabilité vis-à-vis du public parce que le divertissement et l’art sont des influences importantes dans la vie d’une nation.
Bien que le cinéma soit principalement un divertissement sans aucun but d’enseignement ou de propagande, ils reconnaissent que le cinéma peut être directement responsable du progrès spirituel ou moral.
Pendant la transition rapide du cinéma muet aux films parlants, ils ont compris la nécessité de souscrire à un code d’éthique pour guider la production de films et ainsi affirmer à nouveau leurs responsabilités.
Ils demandent au public de faire preuve d’une bonne compréhension de leurs buts et problèmes en démontrant un esprit de coopération qui leur permettra la liberté et l’occasion nécessaire d’élever le cinéma à un niveau toujours plus haut de divertissement sain pour tous.
Principes Généraux
1. Aucun film ne sera produit qui baissera les principes moraux de ceux qui le voient. La sympathie du spectateur ne doit jamais aller du côté du crime, des méfaits, du mal ou du péché.
2. Seuls des principes de vie corrects de vie, soumis uniquement aux exigences du récit et du divertissement, seront présentés.
3. La Loi, naturelle ou humaine, ne sera pas ridiculisée et aucune sympathie ne sera accordée à sa violation.
Applications particulières
I. Crimes
Ceux-ci ne seront jamais présentés d’une façon telle qu’elle puisse créer la sympathie avec le crime , ou s’opposer à la loi ou la justice, ou inspirer à d’autres un désir d’imitation.
1. Meurtre
– La technique du meurtre doit être présentée de manière à ne pas encourager l’imitation.
– Des meurtres brutaux ne doivent pas être montrés en détail.
– La vengeance à l’époque moderne ne sera pas justifiée.
2. Les méthodes criminelles ne doivent pas être explicitement présentées.
– Les techniques pour le vol, le cambriolage et le dynamitage de trains, de mines, de bâtiments, etc., ne doivent pas être montrées en détail.
– L’incendie criminel doit être soumis aux mêmes limitations.
– L’utilisation d’armes à feu doit être réduite au minimum.
– Les méthodes utilisées dans la contrebande ne doivent pas être présentées.
3. Drogue
– Le trafic de la drogue ne doit jamais être présenté.
4. Alcool
– On ne montrera pas la consommation d’alcool fort dans la vie américaine, sauf dans les cas où cela fait partie intégrante du scénario ou des caractéristiques d’un personnage.
II. Sexe
L’institution du mariage et l’importance de la famille doivent être respectées. Les films ne doivent pas suggérer que des formes viles de relation sexuelle sont acceptées ou communes.
1. Adultère
– L’adultère, parfois nécessaire dans le contexte narratif d’un film, ne doit pas être montré explicitement, ou justifié, ou présenté d’une manière attrayante.
2. Les scènes de passion :
– Elles ne doivent pas être montrées sauf si elles sont essentielles au scénario ;
– Les baisers excessifs ou lascifs, les caresses sensuelles, les positions et les gestes suggestifs ne doivent pas être montrés.
3. Séduction et viol :
– Ils ne doivent jamais être plus que suggérés, et seulement lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du scénario.
– Ils ne sont jamais un sujet approprié pour la comédie.
4. La perversion sexuelle, même sous forme d’allusion, est formellement interdite.
5. Il ne sera pas question de l’enlèvement des femmes à des fins de prostitution.
6. Le mélange des races (les relations sexuelles entre les races blanche et noire) est interdit.
7. L’hygiène sexuelle et les maladies vénériennes ne sont pas des sujets appropriés au cinéma.
8. La naissance d’un enfant, directement ou en silhouette, ne doit jamais être montrée.
9. Les organes sexuels d’un enfant ne doivent jamais être visibles à l’écran.
III. Grossièreté
La présentation de sujets vulgaires, répugnants et désagréables, même s’ils ne sont pas nécessairement mauvais, doit être soumise aux préceptes du bon goût en général et au respect des sensibilités des spectateurs.
IV. Obscénité
L’obscénité dans le mot, dans le geste, dans la chanson, dans la plaisanterie, ou même simplement suggérée (même s’il est probable que seule une partie du public la comprendra) est interdite.
V. Blasphème
Le blasphème (incluant les mots « God », « Lord », « Jesus », « Christ » – à moins qu’ils ne soient prononcés avec respect -, « Hell », « S.O.B » [‘son of a bitch’], « damn », « Gawd [Euphémisme|euphémisante] de « God », [comme en français on disait « Palsambleu » pour « Par le sang de Dieu »], ou toute autre expression grossière ou vulgaire, même courante, est strictement interdit.
VI. Costume
1. La nudité complète n’est jamais permise. Ceci inclut la nudité réelle et en silhouette, ainsi que les remarques/allusions luxurieuses ou licencieuses d’autres personnages du film à ce sujet.
2. Les scènes de déshabillage sont à éviter sauf lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du scénario.
3. L’indécence est interdite.
4. Les danses lascives et les costumes trop révélateurs sont proscrits [ »ce qui interdit par exemple de montrer le nombril dans les danses orientales »].
VII. Danses
I. Les danses qui suggèrent ou représentent des relations sexuelles sont interdites.
2. Les danses qui comportent des mouvements indécents doivent être considérées comme obscènes.
VIII. Religion
1. Aucun film ou épisode ne doit se moquer d’aucune foi religieuse.
2. Les membres du clergé ne peuvent pas être dépeints comme des personnages comiques ou malfaisants.
3. Les cérémonies de toute religion précise doivent être présentées avec beaucoup de respect.
IX. Décors
La présentation des chambres à coucher doit être dirigée par le bon goût et la délicatesse.
X. Fierté nationale
1. La présentation du drapeau se fera toujours de manière respectueuse.
2. L’histoire des institutions, des gens connus et de la population en général d’autres nations sera présentée avec impartialité.
XI. Titres
Des titres licencieux, indécents ou obscènes ne seront pas employés.
XII. Sujets répugnants
Les sujets suivants doivent être traités avec beaucoup de prudence et de bon goût :
1. Les pendaisons et les électrocutions légales réelles.
2. La torture.
3. La brutalité et l’horreur potentielle.
4. Le marquage au fer d’animaux et d’êtres humains.
5. La cruauté envers les enfants ou les animaux.
6. La vente des femmes ou la vente par une femme de sa vertu.
7. Les opérations chirurgicales.
[Le texte se poursuit par une série de justifications des précédentes dispositions, tant générales que particulières.]
Merci Bruno pour ce voyage édifiant (et toujours très documenté) dans l’Amérique puritaine des années 30 à 70.
Question violence, quel chemin parcouru depuis avec des films comme Chiens de paille (Peckinpah), Orange mécanique (Kubrick), Délivrance (Borman) ou plus récemment Fargo (frères Cohen). Des chefs d’oeuvre dérangeants dont le maintien du code Hays aurait pu nous priver.
Mais ce puritanisme fait toujours peur. Regarde ce gamin aux Etats-Unis sanctionné pouravoir fait un baise-main à une copine de son âge, six ans je crois. On peut en rire certes amèrement et dire que ces américains ignorent que l’on ne baise la main que d’une femme mariée ou mure, mais on a surtout envie de pleurer devant ce gamin comme marqué au fer rouge pour la vie.
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