Vous est-il arrivé d’être importuné par les rires intempestifs de l’assistance au cours d’un spectacle récent ? C’était mon cas lors du film que Guillaume Gallienne a tiré de son histoire personnelle, film intitulé « Guillaume et les garçons, à table ! »
Il m’a fallu endurer l’hilarité préventive de ceux qui s’esclaffent avant la chute d’un bon mot, en témoignage bruyant de leur vanité. J’ai dû également subir les gloussements de ceux qui jouent les affranchis en matière de sexe et homosexualité.
J’ai enfin souffert enfin des rires de ceux qui suivent le script avec retard ou pire s’alignent sur un expansif voisin de peur qu’on en vienne à douter de leur comprenette. Avec un décalage temporel d’autant plus sonore qu’a duré la période de latence, au risque de faire perdre à tous le sens de la prochaine réplique. Horripilant ! A tout prendre, je préfère le froissement des papiers bonbons ou la mufle mastication des pop-corn.
Il y a du Rabelais chez Guillaume Gallienne qui pour faire à la fois rire et penser fait flèche de tout bois. Or il se trouve que je me range parmi les spectateurs hugoliens. Ceux pour qui l’énorme éclat de rire est gouffre de l’esprit. Au comique de situation, aux farces un peu lourdes, à la crudité de certains propos et aux parodies burlesques, je préfère la finesse d’observation des personnages, la délicatesse de la réflexion et la tendresse humaniste du message. Le second degré plutôt que le premier chez Guillaume Gallienne. Surtout quand je devine qu’il s’est pressé de rire de tout pour ne pas être obligé d’en pleurer. Beaumarchais aussi affleure au personnage il est vrai sociétaire de la Comédie française.
Tout le monde connait ou a entendu parler de l’histoire de Guillaume Gallienne dont il fit un spectacle avant de tourner son film. C’est le récit in vivo et à la première personne d’une identité qui se cherche. Une identité notamment sexuelle confrontée au plus géant mais destructeur des désirs : celui de plaire à celle que tout adolescent chérit le plus au monde, sa mère. En l’occurrence, une mère qui rêvait d’avoir une fille après avoir donné naissance à deux fils…
La mue du jouvenceau s’annonce souffrances et l’histoire aurait pu plus mal tourner sans la bonne volonté et l’optimisme chevillés au cœur et au corps du héros. Il parviendra à l’âge adulte après avoir négocié des passages plus difficiles encore que les détroits de Béring, Magellan et Gibraltar réunis. « Puisque je dois devenir garçon… », s’oblige-t-il à penser un temps, alors que son entourage fait tout pour qu’il se sente fille, sans même lui laisser voix au chapitre. Terrifiante mainmise sur le corps et l’esprit. Et contrexemple à méditer au sortir de la maternité pour qui a tricoté des petits chaussons bleus.
Les géniteurs en prennent pour leur grade. Mais Guillaume, à l’écran comme dans la vie, est un gentil. Pas du genre à cultiver le chagrin, confire la rancœur, distiller l’animosité ou mûrir la vengeance. Il a le regard bienveillant. Surtout à l’égard d’une maman qu’il pare, c’est d’ailleurs un peu étonnant, de toutes les vertus y compris le courage et la pudeur. Effet miroir sans doute. Pour une fois que le travail des psys n’a pas consisté à accabler la mère !
Au-delà de la performance – réelle – de l’acteur qui joue, image et son, le rôle de la mère et celui du fils, le film, un peu déconcertant au début, excelle par la mise à nu des émotions ressenties. S’y mêlent la pudeur et le sens de la dérision pour laisser au spectacle l’aspect du divertissement.
Deux scènes sont remarquables d’inventivité et d’à-propos. Un soir dans sa chambre, Guillaume Gallienne se vit et se déguise en Sissi et sa bavaroise de mère. Ce double dédoublement de personnalités sur fond historique est confondant de drôlerie teintée de douce amertume. L’autre scène d’anthologie est une reprise en manège sous les directives d’un moniteur d’équitation qui fait pour son élève plus et mieux qu’un collège de psychanalystes. Sur l’air de « La chevauchée des Walkyries », le cavalier Guillaume Gallienne s’exerce à prendre plaisir au bien nommé « mouvement conjugal »… Une finale de génie de nature à réconcilier Wagner avec les opprimés.
Bravo et merci pour cet article si bien écrit et cette critique si bien ressentie !
J’hésitais à aller voir le film… Je trépigne d’impatience désormais!!!
Dear Mummy…
J’ai eu la même réaction que vous , et ai été fort gênée des rires intempestifs de nombreux spectateurs…. Ce film est tout sauf drôle, même si le sujet du « genre » y est traité avec humour !!!
Le jeu de l’acteur, à la fois mère et fils, est exceptionnel !
Merci pour vos analyses très justes …. notamment « la vie d’Adèle » .
Si je puis me permettre, allez voir « tel père, tel fils » du Japonais Hirokazu Kore Eda, un cinéaste qui traite de façon très subtile des relations familiales dans le Japon du XXIème siècle
Joëlle H
Je vais donc me cinéporter au Japon un jour prochain. Merci !
Si Rabelais avait fait écrire à l’entrée de l’Abbaye de Thélême : « Fay ce que vouldras », il aurait assurément rajouté mais « escourde dame Guillemette ».