« Maman, le voilà ! ». En décembre 1915, à Oran, en Algérie, Madeleine Pagès aperçoit enfin son fiancé en permission, Guillaume Apollinaire. L’écrivain arrivait du Front, par le train puis le bateau. On ne savait pas grand chose de cette échappée jusqu’à ce que dans son numéro quatorze, la revue « Apollinaire » publie les souvenirs oubliés de Madeleine à ce propos. Elle l’avait rencontré dans un train au mois de janvier de la même année. Elle regagnait l’Algérie et lui son régiment à Nîmes.
A la guerre, Apollinaire est un correspondancier compulsif qui représentait dit-on, un secteur postal à lui tout seul. Il écrit à ses amis, mais aussi à Lou avec laquelle la rencontre a été fusionnelle et, il commence à échanger avec la jeune Madeleine. Au départ, à l’adresse de cette dernière, le ton est empli de respect et d’éducation. Petit à petit avec un grand talent d’hypnotiseur un rien pervers, il entraîne sa lectrice dans un univers charnel qui tourne parfois au brasier. Ce qui peut s’expliquer lorsque l’on est à la guerre et plus particulièrement lorsque l’on s’appelle Guillaume Apollinaire.
Il tentera la même approche avec sa marraine de guerre, Jeanne-Yves Blanc, qui lui fera vite comprendre qu’elle ne tient pas à s’engager dans cette voie. Mais avec Madeleine ça marche et le poème «Les neuf portes de ton corps » restera pour longtemps, un monument de lyrisme érotique, à lire par prudence la fenêtre ouverte, un soir bien frais de février.
Quand Apollinaire arrive à Oran, c’est le retour aux réalités provinciales, le débarquement dans une famille traditionnelle avec des enfants qui jouent.
« On nous a laissés seuls au salon où peu à peu, le tremblement de mes mains cesse sous ses baisers (…) journées merveilleuses, tous ces souvenirs me reviennent en foule (…) nous nous levions tôt et nous couchions fort tard pour rester le plus longtemps possible ensemble (…) le bateau partait le lendemain (…) je me souviens des larmes que nous cachions et du petit signe de la main qu’il me fit en montant la passerelle ». Sur de longues pages, Madeleine Pagès livre ses souvenirs.
Comme le bon vin ils se sont sans doute bonifiés et donnent toute leur saveur après des années de décantation. Il n’en reste qu’un bonheur très pur dont il ressort que Guillaume Apollinaire était un visiteur attentionné, amoureux, quasi-parfait. La mémoire a fait son travail et probablement trié le bon grain de l’ivraie. Ce qui est normal. Dans son dernier numéro, la revue Apollinaire nous offre néanmoins cette exclusivité qui assouvit une partie de notre curiosité sur le séjour que fit l’écrivain à Oran.
Sans doute que dans cette belle ville d’Algérie en aplomb sur la Méditerranée, Guillaume Apollinaire aurait fait longue vie. De l’autre côté de la mer en revanche, dans une tranchée, l’attendait quelques mois plus tard un obus dont l’un des éclats allait lui percer le crâne. Les sentiments envers Madeleine se muèrent par la suite en une indifférence terriblement polie. Achevé par la grippe espagnole en novembre 1918, deux jours avant l’armistice, six mois seulement après son mariage avec Jacqueline, il aura eu cette vie courte que lui avait prédit son ami Max Jacob, lequel avait adouci l’augure en lui assurant que les dieux rappelaient de bonne heure ceux qu’ils tiennent en haute estime.
PHB
Pour se procurer la revue Apollinaire numéro 14 ou pour s’abonner il faut contacter les Editions Calliopées.
Un grand merci, chères Soirées de Paris, pour la diffusion de ce texte de Madeleine qui ne laisse indifférent aucun apollinarien et aussi pour notre revue, la seule actuellement consacrée à Apollinaire. Et toute notre gratitude surtout à la famille Pagès, sans qui les souvenirs de Madeleine n’auraient pas vu le jour. C.D.
Ping : Ma belle panthère chérie | Les Soirées de Paris