« Une figure d’enfant aux longs cheveux souples, aux joues blêmes mais aux grands yeux expressifs et rieurs et aux lèvres minces et ironiques à peine duvetées d’une fine moustache blonde « …
C’est ainsi qu’en 1919, la Gazette médicale du Centre décrit un soldat de 23 ans tué d’une balle à la tête le 9 juin 1918, près de Saint-Maur. Né à Béziers en 1895, ce soldat qui combattait depuis plus de trois années, portait le nom de Jean Arbousset. Mais, pour son entourage, pour ses compagnons d’armes, il s’agissait de « Quinze grammes ». Il était poète. Son surnom, il le devait à un physique de jeune homme frêle, presque féminin, contrastant avec son « métier » de soldat. Si son œuvre est aussi ténue que l’aspect de son auteur était délicat, elle est d’une originalité et d’une beauté singulières.
Publié à peu d’exemplaires chez Crés en 1917 « Le Livre de Quinze Grammes, caporal » ne présente qu’une vingtaines de poèmes. L’opuscule serait resté dans les limbes de l’oubli si quelques amateurs de poésie n’y avaient décelé un ton particulier, une émotion bien personnelle. Ne parlons certes pas de … « frisson nouveau », mais il serait bien difficile de comparer Arbousset à d’autres écrivains de son époque. Sarcastique sans être grinçante, légère et ne parlant cependant que de mort, la poésie de Jean Arbousset lui est propre. Près d’un siècle plus tard, elle nous touche encore.
« Comme un falot douteux qui dans la nuit s’allume,
la lune s’est dressée au bout du parapet,
jaune, – et lugubre avec son visage coupé
qu’elle traîne à travers le ciel, sans amertume. »
(Un soir à Vauquois)
Après un article élogieux dans le premier volume de l’Anthologie des écrivains morts à la guerre (1929), la petite maison d’édition L’Arbre publia en 2002, un choix relativement important de ses poèmes, permettant ainsi à un plus large public de découvrir ce poète assassiné. Et puis, voici qu’à l’occasion de la commémoration de la Grande Guerre, Eric Dussert, aux éditions Osbsidiane, présente ce que l’on peut considérer comme les « œuvres complètes » de Jean Arbousset ainsi que les rares documents retrouvés le concernant (*).
Il revient à Paul Géraldy d’avoir sans doute le mieux cerné la personnalité et l’art de « Quinze grammes ». On ne lit plus guère Géraldy ; son recueil « Toi et Moi » (1912), connut pourtant un énorme succès populaire pendant plusieurs décennies, au temps où la poésie n’avait pas encore perdu ses parts de marché au profit du CAC 40.
Dans le « Bulletin des écrivains combattants », un journal de liaison entre tous les hommes de lettres enrôlés à la guerre, et qui vit le jour très peu de temps après le début des hostilités, voici ce que Géraldy écrivait : « Ses poèmes ressemblent exactement à lui. Ce sont presque toujours, sur des rythmes alertes et brefs, de petites histoires fredonnées comme sur une musique d’épinette, de menus récits en rondeaux, des boutades, des chansonnettes {…} Ce sont des mots sans importance qu’anime un léger vibrato. Il est intimidé sans doute. Un trouble s’empare du lecteur. Quelle est donc l’émotion qu’il y a dans cette voix ? L’épinette a tout à coup d’étranges accents inquiétants. On dirait des accents tragiques. Le cœur se serre. Les yeux se mouillent. Mais c’est assez pour Quinze grammes. Il n’en voulait pas davantage. Il fait une pirouette et retombe sur une pointe {…} Vous voyez bien qu’il n’y a rien, rien q’une chanson de Quinze grammes. Vous n’allez tout de même, pas vous émouvoir de ça ! « .
On peut « s’émouvoir de ça ». Il faut lire cette poésie sensible, originale, pudique et terrifiante à la fois, et pas seulement parce que son auteur combattit pendant quatre années dans les pires conditions. Il faut lire ce petit chef-d’œuvre qu’est La Chanson du Sapeur, dont l’apparent badinage masque à peine le sarcasme et la subversion.
« Un jour, elle a sauté , la mine;
cette mine au fonds du puits.
Nos gradés ont pris une mine
encore bien plus grave, et puis,
comme elle avait sauté, la mine,
le capitaine a toussoté,
les lieutenants ont fait un thé,
des sergents se sont écartés…
Le petit sapeur a sauté.
Dans la mine,
dans la mine
bon sapeur, voici la vermine… »
On peut aussi suivre le conseil de Louis Dubreuil Chambardel dans la Gazette citée plus haut : « Quand vous irez au cimetière d’Estrées Saint Denis, vous fleurirez de la marguerite des poètes la tombe de ce gentil soldat qui fit la guerre en chantant pour réjouir l’âme de ce pays ».
Gérard Goutierre
(*)A la bibliographie publiée en fin d’ouvrage, il conviendra de rajouter l’article paru dans la revue Histoires Littéraires n° 51, juillet 2012 « Contribution à la gloire posthume de Quinze grammes ».
Jean Arbousset : Le Livre de « Quinze Grammes », caporal/Editions Obsidiane. 12€
Voilà une histoire extraordinaire comme on les aime. Merci. A noter que « Quinze grammes caporal » est consultable sur le site de Gallica (BnF). PHB
15 grammes d’une douce émotion sauvée de l’enfer, sauvée provisoirement… Rendez-vous sur le site Gallica, l’ouvrage léger s’y lit très bien, et se dire que certains soirs au-dessus du cimetière d’Estrées à Saint Denis une étoile filante passe, éclairant brièvement une tombe. Merci Gérard pour avoir su réveiller Jean Arbousset.
Merci pour cet éclat de poésie; pour cette belle rencontre, pour la découverte de ce nouveau « blé moissonné » dans cette grande sinon « juste guerre »…
Belle découverte pour moi, merci. Il n’avait pas bonne mine! (pardon).
Très émouvante histoire, merci. S.
Emotions !
Superbe évocation, hommage mérité à l’humble émouvant poète.
Quel dommage que les documents publiés soient illisibles. Encore un effort pour que les information soient complètes.