Le couturier Yves Saint-Laurent en avait fait une robe superbe de discrétion et d’élégance et bien plus facile à porter que celle inspirée par Mondrian. Celle inspirée par Serge Poliakoff, bleu et gris foncés, rouge, se trouve à la fin de l’exposition (et à la fin de cet article) que consacre le Musée d’art moderne à l’artiste d’origine russe.
La scénographie offre avec près de 150 œuvres un large aperçu de ce que ce spécialiste a produit entre 1946 et 1969 date de sa disparition. Un peu trop large peut-être parce que l’on est parfois saisi d’un sentiment de répétition, de variation infinie sur un même thème, un même procédé, que d’aucuns pourraient trouver lassant.
Il faut en faire abstraction, si l’on peut dire ainsi en regard de ce spécialiste de l’art abstrait. Sa production est réjouissante et, ce qui est rare, bienfaisante. Car c’est le principe de l’abstraction de nous délivrer du réel qui nous entoure et nous contraint. Poliakoff est diablement plaisant quand il juxtapose notamment des rouges et des bleus. Le regard plane commodément sur ses surfaces sans embûches et l’esprit s’évade d’autant mieux.
En 1948 sa femme Marcelle présente à Kahnweiler une petite composition abstraite que le grand marchand d’art ne repousse pas et s’avoue même acheteur d’une toile sous peu. Serge Poliakoff ne signera pas de contrat avec Kahnweiler mais prendra ses encouragements pour argent comptant et tracera désormais sa route débutée dans les années trente, après des rencontres décisives avec des artistes majeurs comme le couple Delaunay ou Wassily Kandinsky.
Pourtant, quand Robert Hossein qui s’est souvenu dans un livre de sa rencontre avec un Poliakoff encore inconnu, il dira de lui que c’était « un paysan du Danube » que « l’avenir l’indifférait« , tout en enfumant tranquillement l’hôtel qu’il habitait en y faisant cuire ses harengs. Il était arrivé à Paris en 1923 en jouant de la guitare dans les cabarets.
On gagnera donc à découvrir ou redécouvrir Poliakoff sans s’encombrer de préjugés à l’égard de la pure abstraction. Ses toiles sont conçues comme des cartons d’invitation. Il n’y a plus qu’à accepter d’y entrer seul ou accompagné. On en ressort avec des envies d’aplats de couleur qui viendraient un peu distraire et apaiser nos vies assoiffées d’univers trop rarement indéfinis. La gratification de cette affaire au fond, c’est de comprendre ça.
Jusqu’au 23 février 2014 au Musée d’art moderne
Remerciements à la Fondation Pierre Bergé/Yves Saint-Laurent