Quand le bambou fait la bamboula

Photo: Guillemette de FosQuelle curieuse plante que le bambou ! Son élégant port effilé contraste avec  son orthographe doublement rebondie. Deux minuscules  « b » ventrus pour désigner un végétal  doté de cannes de serin et d’oreilles aussi pointues qu’un lapin déguisé en lynx. Ecrite en majuscules, la graminée s’offre même trois panses, presqu’autant que le  ruminant ! Car le bambou est une graminée et pas un arbre, insistent  les botanistes.  

Bambou, voilà un terme doux à prononcer par les enrhumés en mal  de feuilles d’eucalyptus. Bambou, c’est l’un des mots les plus faciles à déchiffrer au cours préparatoire.  Sauf pour l’écolier dyslexique piégé par la vicieuse anatomie des consommes. Où diable situer dos, abdomen et poitrail sur le squelette quand on est sujet à inversions ?  Au propre comme au figuré, le végétal  est du genre sournois. Ses racines (rhizomes) prennent leurs aises dans les jardins. L’avancée souterraine de ces pieds tentaculaires est si vigoureuse qu’en peu de temps  le végétal  a pris possession de l’espace.

Vous dormiez tranquille tel  le savetier de la fable pensant suffisamment solide la toile de contention utilisée,  erreur grossière ! Le bambou l’a désagrégée plus vite que le banquier ne grignote vos économies ou  l’écureuil  vos noisettes.  Rien ne stoppe la folle avancée de l’importun. Le bambou parviendra à percer le ciment coriace d’un garage, à gondoler l’élégant revêtement d’une terrasse, à jouer le trouble-sport sur un cours de tennis… Et s’il advient qu’il plonge ses racines chez le voisin avant d’en défoncer le mur, soyez assuré (le terme n’a rien d’innocent) d’être dans les petits papiers (bleus)  du juge de proximité.

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

Se débarrasser des racines galopantes s’avère  aussi  malaisé que faire rentrer un cours d’eau dans son lit. Au sécateur, à la pioche, à la pelle, à la binette, à main nue, on croit l’arrachage du dernier rhizome terminé… quand un bout de canne (chaume) pointe son petit nez acéré au beau milieu du jardin. Car la particularité des rhizomes est  leur pousse multi-centres, autant dire anarchique. Ils n’ont ni dieu, ni maître. On croit le bambou sagement circonscrit à son massif ici ou à sa haie là, le  voilà qui fait son apparition au beau milieu du gazon où il met le boxon. Bambou ici, bambou là… Le jeu de cache-cache peut faire rire les enfants et  le  jeu de mot inspirer les romanciers (*). Il  ne fait pas le bonheur des jardiniers. Un parent qui possédait une pelouse aussi « habitée » que le sous-sol parisien crut avoir trouvé « la » solution à l’invasion souterraine. Il  décida de tondre les départs de cannes en même temps que son vert gazon : hop là, tous dans ma brouette ! L’opération se révéla moins simple qu’imaginé. Aucune tondeuse ne résiste à l’épreuve et  le  green vire vite à la pelouse pour fakirs…  baignée des larmes des petits enfants dont elle crève le ballon.

Le  bambou mérite cependant mieux qu’un procès à charge pour son élégance et sa beauté. Ses chaumes offrent des épaisseurs variées et des couleurs contrastées qui vont du rouge au noir en passant par tous les dégradés de vert et de jaune. Certaines semblent incrustées de carapaces de tortues, le comble pour un végétal à croissance de lièvre ! De toutes tailles, ses cannes  une fois coupées font au jardinet des tuteurs du meilleur effet. La nature appelée en renfort et au soutien de la nature, le cycle est parfait.

Le bambou possède un feuillage persistant de nature à séduire les allergiques aux récurrentes  corvées de ramassage. Que ces paresseux ne se réjouissent pas trop vite. Le feuillage du bambou se renouvelle une fois par an…  autrement dit les feuilles tombent constamment. C’est l’automne trois cent soixante cinq jours durant. Dès lors, dilemme pour le jardinier, soit les laisser « pourrir au pied »  ce qui n’a rien d’esthétique, soit opter pour le ramassage permanent… La besogne emprunte à Sisyphe son cruel châtiment. L’opération est  dangereuse, à n’engager que muni de gants épais et lunettes spéciales pour protéger sa cornée de la perfidie des cannes aiguisées.

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

La brise fait chanter le feuillage des bambous. «Le bambou rit sous le vent» dit le proverbe chinois en hommage à la souplesse du végétal. Au pays de La Fontaine on évoquera  plutôt sa ressemblance avec le roseau qui comme chacun sait plie mais ne rompt pas. Mieux, le bambou tient du phénix. Qu’on scie au ras ses cannes et le voici gaillardement reparti pour un petit tour de jardin.  « Plante une pousse de bambou,  coupe du bambou pour le reste de ta vie» philosophent les Asiatiques décidément experts en cette graminée comptant  près d’une centaine d’espèces sur la planète.

Question taille, il existe des petits  bambous, des moyens bambous et des grands bambous. On se croirait dans la forêt des frères Grimm ! Aux  bambous nains pour terrasses citadines étriquées, je préfère les géants de plus de trente mètres qui hantent les bambouseraies labyrinthiques comme celle située au milieu du vignoble de Gaillac. Quel délice de s’engager dans la pénombre qu’offrent ces « arbres creux » aux bras élevés devenus protecteurs.

 

(*) Dernier en date, « L’homme bambou » de Jocelyn Bonnerave (Seuil, 2013),

 

 

 

 

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3 réponses à Quand le bambou fait la bamboula

  1. Bruno Sillard dit :

    Je suivais une visite, je ne sais plus si c’était les jardins du château de Beauregard ou de Courçon, toujours est-il que nous nous sommes arrêtés devant un buisson de bambous… Ils étaient en fleurs. Et notre guide de nous raconter que dans le monde des milliers de pieds issus du même rhyzome sont au même moment eux-aussi en fleur. Mais dans un an, tous ces milliers de bambou seront morts, car ces graminés ne fleurissent qu’une seule fois. Au Japon, inutile de dire que des passionnés de cette plante, quand ils apprennent un tel événement se lancent dans une recherche planétaire pour retrouver l’histoire particulière de cette plante… qui peut vivre des dizaines et des dizaines d’années sans fleurir !

  2. Philippe Bonnet dit :

    On réécoutera avec plaisir la chanson de Philippe Lavil à ce sujet: « il tape sur les bambous et c’est le numéro un ». Un tube très décontracté. PHB http://www.youtube.com/watch?v=YN-55DGNZMs

  3. de FOS dit :

    Très instructif ton commentaire, Bruno. Et toujours passionnante la visite des jardins de Beauregard et de Courson.

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