La dimension est un peu trompeuse mais pourquoi pas. Il vaut mieux voir l’œuvre de Félix Vallotton dans le métro qu’au Grand Palais où elle se trouve actuellement exposée dans le cadre d’une rétrospective de l’artiste. Agrandie 10 fois (46 centimètres de large au départ) la toile peinte en 1909 est aussi épatante qu’irrésistible. Sa belle couleur jaune, son mystère relatif, cette main gantée qui semble vouloir s’évader, séduisent au point que la visite s’impose. Le choix est judicieux.
Cependant cette belle peinture à l’huile n’est pas représentative d’un ensemble hétérogène, donnant à démontrer les multiples styles utilisés par le peintre. Quant à l’œuvre emblématique (La loge de théâtre, le monsieur et la dame/1909), on la voit assez vite, dès le départ de l’exposition. Comme elle tiendrait dans un attaché de case, on l’a déjà dit, il est amusant de constater l’effet de surprise sur soi-même et ses voisins en raison du décalage avec tous les formats d’affichage qui ont été déclinés par ailleurs pour la promotion de cette recommandable manifestation, voisine de palier du (trop) sérieux Georges Braque.
La bonne surprise de ce Félix Vallotton qui fut aussi romancier et qui étudia à l’académie Julian d’où sont issus nombre de nabis et post-impressionnistes, tient donc de sa capacité à maîtriser différents genres. Cette remarque entendue dans les couloirs du Grand Palais «tu as vu on dirait une photo» souligne le savoir-faire du peintre qui expérimentait l’hyperréalisme avant l’heure. Il est vrai que la toile était en question était troublante de précision.
A noter que l’artiste s’est acheté un appareil photographique Kodak en 1899 et s’est servi de ses clichés pour réaliser quelques tableaux comme Le bain à Etretat et Sur la plage. En passant à l’œuvre suivante, la visiteuse s’est en revanche gardée de dire à son compagnon, «tu as vu on dirait une peinture».
Paysages, nus féminins à foison, une vue d’intérieur à multiples perspectives rappelant les effets de profondeur de Peter de Hooch, paysages de guerre, Vallotton n’ennuie son public ni par la diversité de ses styles ni par la variété de ses sujets qui étonnent souvent lorsqu’ils ne charment pas toujours. Celui qui fut d’abord graveur a laissé 1700 tableaux comme traces de son passage sur terre avant de mourir en 1925. L’exposition intitulée, sans que ce soit trop évident à comprendre «Le feu sous la glace», présente 110 œuvres et une soixantaine de gravures.
L’écrivain Léon Paul Fargue a commenté ainsi (en 1912) la polyvalence des interventions de Vallotton : «Deux hommes se répriment l’un l’autre en ce peintre : un amant et un critique, un sensible et un contrôleur implacable, un érotomane et un mécanicien-ajusteur.» Ah la belle remarque! Nous l’avions sur la langue.
Pour ce qui est des femmes, Vallotton a idéalisé leurs corps. Elle sont belles, languides mais aussi inaccessibles ou idéalisées car le propos exprimé par le pinceau est tout de même assez froid. Le désir se fait donc lointain.
On pourra marquer un temps d’arrêt devant son «étude de fesses», unique en son genre, du moins sur l’ensemble des toiles exposées. Parce que justement, dans ce cas précis, Vallotton a choisi d’en exécuter une paire fripée par la vie, comme s’il avait été brusquement le sujet d’un retour sur terre. Etrange.
De sa palette en tout cas sont sorties de multiples voies de traverse que le Grand Palais nous invite à emprunter à l’aide d’une scénographie intelligente jusqu’au 20 janvier. On peut se contenter d’y satisfaire son regard et c’est déjà pas mal mais il est possible d’aller au-delà en détectant des prémices d’autres genres à venir.
Cela donne envie. Y compris ces fesses « fripées » par la vie, dont il n’est pas sûr, cependant, que l’érotomane les aient vues ainsi… (rappelons-nous les ventres amollis de Renoir…)
Un Vallotton que par ailleurs Apollinaire, en 1913, décrivait comme « funèbre » dans Les Soirées de Paris… PHB