Ne vous fiez surtout pas au titre de cette pièce de Joël Pommerat créée il y a deux ans à Béthune et présentée aux Bouffes du Nord jusqu’au 16 novembre. «La Grande et fabuleuse histoire du commerce» n’a rien d’une merveilleuse épopée de la Route de la soie à la téléphonie mobile, du Canal de Panama à l’A380 Cargo. Vu l’auteur, rien d’étonnant, qui poursuit ici avec acharnement son travail d’auscultation d’une société malade au sein de laquelle comme s’en désole le néo-sociologue « vendre et acheter sont aussi naturels que marcher, manger, respirer ».
Le résultat vaut ici véritablement le détour, on retrouve avec plaisir la patte d’un auteur-metteur en scène à l’univers unique qui mérite son actuelle exposition médiatique, le bonheur théâtral est à la hauteur de celui ressenti avec «Ma chambre froide» ou «La réunification des deux Corées» (alors qu’à l’Odéon encore la reprise jusqu’à samedi d’« Au monde» et des «Marchands» nous a laissés sur notre faim).
Voici donc aux vénérables Bouffes du Nord un spectacle «entre la fiction et le document», présentant le quotidien des «ouvriers du commerce», selon l’auteur. Instants volés dans l’intimité de cinq vendeurs pratiquant le porte-à-porte, avec pour unique décor évolutif sur scène quelques éléments suffisant à caractériser une chambre d’hôtel, un lit, une armoire, une chaise, un téléviseur.
Des chambres comme il en existe des milliers en France, occupées chaque soir par des vendeurs qui n’ont en tête le matin que leur objectif du jour et le soir que leur objectif du lendemain. Peu importe les produits qu’ils proposent, seul l’objectif du chiffre obnubile les pensées, dans l’espoir de battre le record de l’année précédente. On croise les vieux briscards au contact amical, le nouveau venu si niais qu’il se préoccupe encore des problèmes d’argent de ses interlocuteurs. Et derrière les ventes forcées, l’échec d’une vie sociale et familiale, le corps brisé et la solitude comme seul horizon.
Tout est sombre, du texte qui ne laisse aucun espoir de sortie de crise à la pénombre qui règne sur scène. Le tout servi par des comédiens épatants de vérité, on leur ouvrirait notre porte demain matin après quelques minutes d’un discours bien huilé. Joël Pommerat nous plonge dans le quotidien d’une bande de pitoyables vendeurs, misérablement humains. On en a la chair de poule.
Le récit aussi donne la chair de poule.
Je me souviens d’un cousin chargé de faire du porte à porte pour vendre (à crédit) des encyclopédies à des gens très modestes mais soucieux d’embarquer leur progéniture dans l’ascenseur social… Il a démissionner de honte.
Thématique passionnante
le film « les portes de la gloire », de Christian Merret-Palmair était dans ce registre désenchanté…
Très bon film en effet avec Poelvoerde et le grand Etienne Chicot. PHB