Avec « Les faibles et les forts », son dernier roman publié chez Stock, Judith Perrignon nous embarque pour une croisière black and white peu glorieuse pour la race prétendument supérieure. Ecoutez d’abord la grand-mère noire se raconter, puis sa fille et quatre de leurs cinq enfants-petits enfants (deux filles et trois garçons). Vous n’entendrez pas la petite dernière, elle n’a que deux ans mais sait s’exprimer autrement que par les mots.
Ecoutez ces souvenirs croisés comme crachés à voix hautes, des voix qui grondent et pour certaines d’entre elles déjà d’outre-tombe. Pénétrez dans un entrelacs intergénérationnel d’injustices et d’humiliations. Le courant est rude, qui laisse le lecteur lessivé.
On l’a compris, il est question de violence raciale au quotidien aux Etats Unis d’Amérique. Elle ballotte la lignée sur près d’un siècle, de la ville de Chicago, ville (un temps) refuge des Afro-américains fuyant le Sud ségrégationniste, à Shreveport sur les bords du Missouri.
L’eau joue un rôle déterminant dans l’ouvrage. Celle de la piscine et celle de cette « rivière rouge » qu’est l’impétueux confluent du Mississipi qui aspire les piètres nageurs dans ses tourbillons limoneux. Source de vie, le flot est ici vecteur de mort et pour les noirs, sombre linceul. Aux USA, deux adolescents noirs sur trois ne savent pas nager. Statistique lourde de sens.
La moquerie est l’arme des opprimés. Elle prend ici la forme d’une blague récurrente que la famille se plait à véhiculer pour faire rire les enfants dans les moments graves, « Shine ». Nouvelle métaphore aquatique dont on découvre le sens à la fin de l’ouvrage, Shine signe la revanche de l’Ol’ Man River. Le Noir s’y moque du Blanc pour se venger du temps où il recevait ses ordres et ses coups dans les plants de coton des bords du Mississipi.
La force de l’ouvrage publié chez Stock réside dans ces émotions distillées à la première personne et au présent par six membres d’une même famille. Comme du temps où elle avait en charge la page « Portraits » de Libération, Judith Perrignon sait brosser en peu de mots la personnalité de chacun, nous faisant peu à peu entrer dans l’intimité de la lignée.
La romancière tire de son passé de journaliste le pouvoir d’évocation des faits. Riches de détails qui ne sont jamais superflus, ses longues phrases font l’effet d’uppercuts.
Inspiré de faits réels survenus à soixante dix ans d’intervalle et volontairement concentrés au sein d’une seule famille, son roman vaut électrochoc. Une raison pour reprocher au titre choisi son plat manichéisme.
Entièrement d’accord sur la remarque a propos du titre ! Ce livre, sensible, instructif et d’un grande intensité méritait beaucoup mieux !