On était un surlendemain d’anniversaire mieux que convenablement fêté. Rien ne présageait donc ce dîner dans le triangle d’or qui relie le passé (Invalides) au présent (Elysée), en un lieu classé monument historique, le Minipalais. Si ce n’est allusion à la récente prise d’âge…
C’est donc en plein air (ou presque), sur la terrasse qui longe la façade du Grand Palais que nous nous attablâmes, comme le permettait la douceur estivale prolongée. Face au Petit Palais, dos tourné au Pont Alexandre III, nous étions installés au pied des monumentales colonnes de ce péristyle depuis peu restauré. La position assise rendait plus majestueuse encore l’imposante colonnade cannelée d’inspiration grecque qui entoure l’édifice construit pour l’Exposition universelle de 1900. Des pilastres au plafond à caissons, filtrait une douce lumière orangée. Un éclairage apprécié des femmes : il sublime aussi bien les teints anémiés que ceux par trop caramélisés. Et le style ionique, si raffiné, si féminin des colonnes d’inspiration grecque fut propre à émouvoir la mise à l’honneur : fût élancé, frise ornementée, chapiteau doté de volutes en forme de boucles de cheveux…
La couleur du feu seyait aussi aux palmiers feuillus disséminés sur la terrasse. Ces vaillants rescapés du charançon rouge méditerranéen apportaient au site la touche végétale qui convient. Un peu comme les orangers au château de Versailles, toutes proportions gardées. Ils lénifiaient l’atmosphère, la « zénifiaient » au point qu’on en oubliait la tumultueuse circulation automobile sur l’avenue Winston Churchill pourtant si proche.
La carte apparut inventive, on la devinait évolutive au rythme des saisons. Elle avait la bonne longueur, comme il se dit d’une jupe par rapport au genou : ni trop courte pour être taxée de petite vertu, ni trop longue pour qu’on y flaire la facilité de la touche industrielle. S’étant renseignés avant de se rendre au rendez-vous, les internautes gourmands savaient déjà qu’on la doit au conseil du chef triplement étoilé Eric Frechon (passé par la Grande Cascade, Taillevent, Le Crillon, Le Bristol) et au doigté du chef exécutif Stéphane d’Aboville.
Ce soir-là, nous étions six à dîner. Citons l’étonnant merlan en croûte d’amandes, une version revisitée de l’éculé (à ne pas écailler surtout !) bar à la croûte de sel, le quasi de veau d’une telle tendreté qu’on aurait pu déguster à la cuillère, les gambas encore frétillantes au milieu d’une nage de légumes croquants. Mention très bien aussi pour le trio de tomates rouges et vertes (soupe, sorbet et carpaccio) dont le très visuel dressage méritait de figurer au menu du monument érigé à la gloire de l’Art français. Stupéfiant enfin ce foie gras « maison » servi sous forme de… banales roulades Fleury Michon. Qu’on ne nous la joue pas, il dut être émincé congelé à la mandoline. Congelé et fait maison n’ont rien d’incompatible quand c’est tout simplement bon.
Les desserts ont tenu leurs promesses. Les fragiles fraises des bois (avec sorbet citron) apparurent d’autant plus goûteuses qu’elles se font rares sur les cartes en ces temps de crise économique. De quoi alimenter le débat sur le fameux syllogisme rare-cher. La crème brûlée aux agrumes était aérienne et un zeste parfumée. La tarte au chocolat sut s’adapter au souhait de la convive souffrant de dépendance au cacao, elle fut servie avec une boule de glace de même couleur plutôt que de vanille. Le ballet des serveurs n’encourut ce soir là aucun reproche. La bonne humeur des convives et le champagne coulant (presque) à flots n’y furent probablement pas étrangers.
Cette brasserie chic et moderne est ouverte sept jours sur sept, de 10 heures à 2 heures.
La bonne éducation veut que l’invité(e) ignore le montant de la note réglée pour ce dîner surprise dans un endroit chargé de culture…
Et il me semble que le Eric Frechon en question vient d’ouvrir quelque chose sur le parvis de la gare Saint-Lazare. PHB
Pas d’erreur ! Il affectionne les lieux insolites. Tant mieux, c’est sur mon chemin.