Une route étroite de campagne, près de Tours, 6h30 du matin. Le cheval s’en allait le long de la voie du chemin de fer. La barrière au loin était fermée. C’était la consigne, la nuit jusqu’à sept heures du matin, elle devait être fermée. De toute façon peu de trains passaient par là, peu de voitures non plus. Des habitués toujours, le gardien du passage à niveau s’amusait à deviner leurs métiers.
Pour l’estafette Renault, il ne se trompait pas. Le boulanger avait l’habitude de s’arrêter pour lui laisser deux baguettes et quatre croissants. Comme d’habitude, il attacherait son sac sur le porte bagage de son vélo à 8 heures, et il attendrait son collègue de jour qui arriverait comme d’habitude, un peu en retard, à 8 heures 10; il était très exact dans son retard. Un peu avant passerait une « deux chevaux » conduite par une jeune femme qui avait une gueule d’institutrice. Il l’appelait l’instit’ de 8 heures 5.
Le long de la voie ferrée Saint-Pierre des Corps-Nantes, 6 heures du matin. Je roulais sur le chemin le long des rails. De l’autre côté des barrières qui isolaient la voie, les immeubles sinistres de la cité de transit. Peu de fenêtres éclairées, dans ces cités on se lève souvent trop tard, parfois trop tôt. Au milieu des immeubles, une maison basse aux fenêtres fermées par des barreaux noirs. A l’arrière de la maison un mur hérissé de rouleaux de fils de fer barbelés dessinait une cour intérieure. Des chiens hurlaient à mon passage. J’accélérais sans jamais avoir vu ces clebs qui aboyaient cachés derrière les murs, les barbelés, les barreaux, la somme de toutes les peurs de ceux qui vivaient là. C’était le mini marché du coin.
Le passage à niveau où je me rendais était du sérieux, quatre voies ferrées à traverser. Quand il fallait baisser les barrières, il fallait faire gaffe de ne pas laisser une voiture en carafe au milieu des rails. A l’époque, c’étaient les années soixante-dix, le turbotrain de Nantes passait par là se donnant des airs d’un TGV qui n’existait pas encore. Ici, on gardait les barrières au rythme des trois huit. Dans les campagnes, on regardait les trains passer douze heures durant.
Une route étroite de campagne, près de Tours. C’était la fin de l’été, les premiers rayons du soleil déchiraient en lambeaux les restes du brouillard qui blanchissaient les champs. Le garde-barrière de la nuit faisait cafetière commune avec son collègue du jour.
Une baguette et les deux croissants attendaient sur la petite table à l’intérieur de la maisonnette. Ils se connaissaient tous les deux. La SNCF avait entrepris d’automatiser les passages à niveau. Jouant sur les départs en retraite et les mutations des garde-barrière, elle piochait dans un stock de remplaçants, des étudiants qui a défaut d’étudier, préparaient la révolution. Le terrain était miné, la chasse gardée, il fallait être coopté avant même de pouvoir faire acte de candidature auprès de la compagnie ferroviaire. Le cheval s’était arrêté sur la voie. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer, la barrière étant baissée. Une lumière jaunâtre éclairait la fenêtre de la petite gare. Pas de bruit, si ce n’est le chant des derniers oiseaux de l’été qui avaient entamé leur causette matinale.
Le long de la voie ferrée Saint-Pierre-des-Corps/Nantes. Mon collègue était vite parti, la tranche de 22 heures à 6 heures était la pire, surtout après les 3 heures quand il faut se battre contre un adversaire implacable, le sommeil. La nuit, les barrières restaient là aussi baissées, par sécurité. A chaque fois qu’une bagnole noctambule pointait ses phares, il fallait sortir, tourner la manivelle, relever les barrières. C’est fou l’activité nocturne, même en semaine, dans une banlieue d’une ville de province pourtant si tôt endormie. Je savais si la voiture rentrait ou non dans la cité … à cause des clébards. Un bruit, une nuit, me réveilla. Un mec était en train d’ouvrir la barrière. Je sors, je l’engueule, il m’engueule, il m’accuse de m’être endormi, n’importe quoi… Un cheminot de la nuit mal luné.
Les garde-barrière d’avant étaient souvent les bras cassés que la SNCF collait là en attendant la retraite. En cas de véhicule bloqué sur la voie, il fallait remonter un kilomètre en amont pour placer un pétard sur la voie puis remonter pareil en aval. Je m’imaginais mal courir quatre kilomètres pour prévenir un train dont je ne savais pas d’où il venait, tout ça en moins de cinq minutes si un train était annoncé. J’imaginais encore moins un vieux cheminot brinqueballant faire de même. Enfin, il restait quand même les torches éclairantes, les mêmes qui servaient dans les manifs. Au début, le nouveau est mis en double avec l’ancien. Pas grand-chose à se raconter douze heures ou même huit heures durant. Certains lisaient le quotidien local, « La Nouvelle République », des heures et des heures d’affilées. Bon, j’ai fait mes classes de journaliste dans la presse régionale, j’ai collaboré à un bouquin sur son histoire, je la respecte et la défend, mais de là à penser que l’on peut lui consacrer cinq ou six heures à la lire me rendait perplexe.
Une route étroite de campagne, près de Tours. Un train à l’approche venait de passer sur la pédale qui déclencha une sonnerie au poste. La barrière était fermée mais il fallait sortir pour couper l’alarme. Le silence revenu, le garde-barrière lève la tête, le ciel est devenu bleu laiteux, une belle journée encore qui s’annonce. Il baisse sa braguette, l’état des sanitaires de la maison est sujet à caution. Un bruit, un bruit curieux, connu mais curieux. Une espèce de toux chevaline. L’apprenti garde-barrière tourne la tête et voit avec effroi, sur la voie unique, un cheval gris pommelé, plus proche par sa carrure du cheval de trait que du pur-sang, venir vers lui. « Qu’est-ce que tu fais là ? Fiche le camp», hurle-t-il courant dans sa direction. Sa gesticulation effraye le canasson qui fait demi-tour et part au petit trot. « De quel côté va arriver ce putain de train ? » Il reste une chance, si le train arrive de l’autre côté. Il court vers la maison prend des pétards, des espèces de mines qui se placent sur les rails, se charge de torches, trop, tout tombe par terre, il en ramasse une, tire sur l’allumeur ce qui fait fuir davantage l’animal qui s’était retourné et attendait regardant vers la barrière. Le hurlement des freins du train emplit l’espace.
Le long de la voie ferrée Saint-Pierre-des-Corps/Nantes. Un jour, la sonnerie annonçant un train retentit. Je sors, baisse les barrières en tournant la lourde manivelle. Je désactive la sonnerie. Elle se coupe un instant mais repart de plus belle. Le téléphone sonne, je décroche, fausse alerte, c’est une draisine qui fait des travaux sur la voie, mon prévient-on. Je coupe à nouveau l’alarme. Je relève les barrières mais au même moment encore une fois la sonnerie retentit. Encore la draisine qui laisse traîner ses roues n’importe où, pensais-je. La sirène d’un train me fait sursauter, il arrive lentement, traverse le passage à niveau aux barrières ouvertes. Un train de marchandises énorme. La locomotive s’arrête devant moi, le conducteur en sort, me passe un savon. Il remonte et repart. Je n’ai rien trouvé à répondre, la draisine, tout ça, rien. J’ai cru que j’allais être viré. Mais non, peut-être est-ce la culture syndicale de la SNCF ?
C’était un autre jour. Il est arrivé le visage décomposé, jeta sa bicyclette par terre et vint vers moi. « J’ai tué un cheval ! » J’esquisse un sourire mais je le range aussitôt au rayon des mauvaises réponses. Le cheval a été blessé aux pattes arrière et le gendarme ne savait pas s’il allait devoir être abattu. « Tu vois, tu n’y es pour rien, allez va te coucher. » Je ramassai son vélo et il s’en alla. Moi aussi.
Le soir mon pote garde-barrière est retourné dans son passage à niveau de campagne. Il n’a pas fermé l’œil de la nuit.
Quand je faisais garde-barrière, c’était pour laisser passer des voitures. Sans problème à signaler, sauf une fois, la voiture de la boulangère que j’ai failli couper en deux en lâchant prise. Ce jour-là elle n’a failli livrer que des demi-baguettes. PHB
Le pire est que chaque garde-barrière que j’ai connu a au moins une histoire comme ça à raconter. On comprend pourquoi il y avait urgence pour la SNCF de protéger ses passages à niveau les plus chaud.!
Super bien écrit et émouvant cet article sur les garde-barrières et votre article réveille en moi de vieux et doux souvenirs
je l’ai lu comme on lirait un bon polar… et les images sont très belles
par chez moi, la vieille gare est désaffectée et les guichets, entr’aperçus à travers les vitres sales et pleines de toiles d’araignées, rouillent, les rails qui cheminaient à travers les prairies et faisaient rêver les vaches, les rails qui traversaient la forêt de Crécy et s’arrêtaient à « la halte » en plein milieu de ce qu’on appelle maintenant « L’aire du muguet »…, tout cela a disparu
on a fait de ce passage une allée balisée pour piétons et cycles non motorisés… au moins ça sert encore à quelque chose
Catherine
J’aime ce genre de texte quand il s’ouvre à d’autres images, d’autres rêves. C’est le cas, je suis content. Merci
Très vaste domaine que celui du garde-barrière y compris de nos jours
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