Le monde glacé de Enki Bilal se réchauffe pour un moment au musée des Arts et Métiers. L’idée de rapprocher des êtres améliorés à la biomécanique avec les drôles de machines qui font l’originalité plaisante du musée, a servi de prétexte à cette exposition intitulée par Bilal lui-même « Mécanhumanimal ».
Avec Bilal la température baisse toujours de plusieurs crans. Le visiteur de l’expo se sentira vêtu d’un manteau long, il prendra l’air grave et de curieux branchements apparaîtront bientôt sur ses tempes reliés à on ne sait quel système.
Quarante/cinquante ans, le personnage conçu par Enki Bilal erre dans un monde dégénéré où l‘on ne rigole jamais. Romantisme gelé, fané, érotisme clinique voire morbide, son monde ne fait pas envie mais il fascine. Et parfois il étonne lorsque l’on rencontre par exemple le dieu Horus revêtu d’une sorte de trench à la mode de l’an 3000.
L’univers du dessinateur est paradoxalement attrayant pour sa froideur, distrayant par l’ambiance d’un monde où l’on ne discerne plus vraiment police et voyou, où les valeurs de démocratie que nous connaissons encore ont disparu par nécrose, par corruption. Il y a cette image réalisée pour une organisation internationale ou Enki Bilal illustre avec une efficacité effrayante quelqu’un que l’on astreint mécaniquement au silence.
Ces arrêts sur image forcent l’attention. Cette esthétique glacée et glaçante qui consiste à revêtir une jolie fille à la peau pâle et grise d’une belle tenue rouge vif fait que l’on s’attache cette œuvre qui répète inlassablement les mêmes atmosphères réunissant des personnages en transit vers des ailleurs qui n’existent sans doute pas. Le sans-issue est chez lui une valeur constante. Son style se déploie aux arts et métiers dans des planches de BD mais aussi dans des diaporamas (très bien faits) et à l’intérieur d’une petite salle de projection. Ailleurs on aime aussi ses voitures ou ses machines tandis que les propres engins du Musée comme ce beau (mais oui) téléscripteur Creed de 1970 font de leur juxtaposition avec les œuvres du créateur de Nikopol une connivence habile.
Une fois un jour, il y a eu quelque chose de drôle mais était-ce fait exprès… Toujours est-il que dans le film bilalien « Immortel » il y a un monstre qui n’usurpe pas sa réputation, terrorisant l’espace et au-delà. Tout étant possible chez Bilal, le monstre tombe un jour sur Anubis (celui qui faisait passer les vivants chez les morts dans l’antiquité égyptienne) et lui dit avec chaleur : « j’aime beaucoup ce que vous faites ». On peut en dire autant de Bilal et de cette exposition réussie qui ne prête pourtant pas à rire.