Jean-Christophe Rufin philosophe avec ses semelles

Encore un livre sur le chemin de Compostelle… On atteint le seuil de saturation avec  ces nombreux  récits sur le fameux pèlerinage. D’autant que le sous-titre du nouvel  opus, « Compostelle malgré moi », n’incite guère à  s’y plonger. Il fleure le prétexte d’un auteur en mal d’inspiration qui aurait cédé à l’amicale pression de son éditeur pour livrer une expérience avant tout personnelle…  

Mais ce livre-là (« Immortelle Randonnée ») de Jean-Christophe Rufin, paru aux Editions Guérin – est de ceux qu’il faut déguster. D’abord et avant tout parce qu’il est excellemment écrit, ce qui n’est pas surprenant puisqu’émanant d’un… Immortel. Peut-être aussi parce qu’il traite d’une voie inhabituelle pour se rendre à Santiago de Compostelle, le chemin côtier longeant les rivages basque et cantabrique. C’est le tracé dont rêve tout  vacancier qui sommeille sous l’habit du pèlerin. Jean-Christophe Rufin le démythifie, décrivant le parcours comme une somme de criques et de plages. En traduction pèlerine, cela signifie une suite monotone de grimpettes et de descentes  juste bonnes  à assombrir l’orteil mal taillé, titiller l’ampoule naissante.

D’une plume alerte, avec ce qu’il faut d’humour, de dérision, d’érudition jamais professorale et de tendresse aussi,  l’auteur n’omet aucun des ingrédients qui « font » le célèbre parcours : le juste (?) poids du sac à dos, les rencontres qui se font et se défont, qu’on espère ou qu’on redoute, les raccourcis qui n’en sont pas, le mental et le physique du pèlerin qui diffèrent selon qu’il chemine à pied (déguenillé comme Jean Valjeau) ou à vélo, musclé et bronzé comme Alberto Contador. L’auteur ne nous épargne pas les interminables approches des grandes villes ibériques au travers de leurs banlieues  hideuses, les paysages parfois grandioses,  les soirées en auberges espagnoles où,  c’est heureux, le jacquet n’a pas à se contenter de ce qu’il apporte…  A ce propos, doit-on  dire « jacquette » pour ces Eve, nombreuses, qui affrontent  les montagnes des Asturies et les vents de la Galice ? Il serait temps que l’Académie s’empare du sujet.

Jean-Christophe Rufin sur le mur de Google images. Photo: PHB

Le livre décrit de l’intérieur les mues du pèlerin qui au fil des pas troque au propre comme au figuré son enveloppe lisse et raffinée pour un cuir sobre et rugueux.  Mais l’intérêt de l’ouvrage est  ailleurs. Tout est prétexte à raisonner dans ce récit philo-autobiographique. Du contenu du bissac à l’euphorie qui préside à la descente vers Compostelle en passant par l’analyse des ressentis  de l’homme marchant. Parti  Jean-Jacques Rousseau avec  son trousseau de misère et sa hantise des ronflements nocturnes de ses congénères,  Jean-Christophe Rufin arrive à Santiago en Denis Diderot, pétri d’inclinations positives pour ses semblables…  L’étreinte de l’Apôtre majeur en dispute le miracle à l’épreuve de la marche à pied… La magie du Chemin a, une fois encore, opéré.  Les voies du Seigneur sont impénétrables, qui  auront vu l’académicien-pèlerin emprunter à toutes les religions ou presque. S’offrant d’abord une overdose  de liturgies et de fréquentations d’églises et monastères avant d’être en empathie animiste face à l’imposante beauté des paysages puis bouddhique en ayant atteint un « état de zénitude proche de l’imbécillité ». Un état passager : il cède bientôt la place à de l’humilité « confinant à l’orgueil » lorsqu’il s’agit d’apercevoir du haut du Monte del Gozo la ville de Santiago et la fin estampillée du voyage. Retour à la case départ avec ce péché mortel  très catholique.

La marche est acte philosophique autant qu’expérience spirituelle. De nombreuses personnalités l’ont expérimenté de Rimbaud à Péguy en passant par Kant, Nietzsche et  Gandhi. Ces grands hommes ont trouvé en marchant l’inspiration, l’énergie, le courage… Dans  son livre « Marcher, une philosophie » (publié aux Carnetsnord), Frédéric Gros s’interroge, revisitant Descartes : et si l’on ne pensait bien qu’avec les pieds ? Ambulo ergo sum.

 

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3 réponses à Jean-Christophe Rufin philosophe avec ses semelles

  1. Ce chemin de Saint-Jacques rappelle aussi ce joli conte philosophique et onirique qu’était « Saint-Jacques La Mecque », un film de Coline Serreau qui ne comptait singulièrement que des (formidables) seconds rôles dont l’excellent Artus de Penguern hélas disparu au mois de mai. PHB

  2. Steven dit :

    Pélerin sur les chemins de Compostelle c’est quand même autre chose par rapport â nos trajets de condamnés

  3. Evelyne dit :

    Encore un livre certes!!!mais celui-ci sort visiblement de l’ordinaire!!Bravo Guillemette. Faut-il rappeler que le chemin de St-Jacques, c’est un chemin vers soi et vers les autres..On se ressource à la rencontre de la nature et des individus (pélerins ou habitants)…On est sur une sphère où l’Amour… de la vie est permanente!!!A consommer sans modération!!!!.

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