De nos jours elle fait un peu tas de ferraille mais à l’époque, entre 1927 et 1930 précise la légende, le mufle de l’Alfa Romeo appartenant à Blaise Cendrars devait un peu parler aux tripes et griser conducteur et passager. Cette photo apparaît dans l’album qui fait partie de la parution ce mois-ci à la Pléiade des œuvres autobiographiques complètes de Blaise Cendrars. L’iconographie a été choisie et commentée par Laurence Campa.
C’est presque un album de voyages du reste, tant l’écrivain a pu bourlinguer, souvent pour de vrai et parfois pour de faux. Il nous est également donné de voir la Ford que Cendrars utilisa au Brésil en 1927. Un modèle « plein air » dont l’archaïsme la rapproche davantage du tracteur que du coupé belle époque. Comme ce volume est aussi l’histoire de l’écrivain, Laurence Campa nous débarque le 12 août 1927 à Rio et nous installe dans une chambre du Copacabana Palace. C’est la magie des livres d’images que de donner à voir et à imaginer. Le sens de la narration de la commentatrice et son inclination finement contenue pour le sujet font que l’on ne s’ennuie pas une seconde à découvrir l’auteur de « L’homme foudroyé » ou de l’anthologique « Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France » illustré par le peintre Sonia Delaunay.
Quelle belle gueule quand même que ce Blaise Cendrars, du moins sur une large partie de sa vie. La photo du coffret, prise en 1911 est déjà tout un portrait d’un homme qui n’a pas trente ans et encore ses deux bras puisqu’il en perdra un sur le Front. Son visage exsude le charme, une certaine intelligence, un élan créatif qui allait le porter bien loin. Page 155, on le voit encore en 1932 à Bordeaux derrière Igor Stravinsky. Blaise Cendrars a de l’allure il se sent bien en costume de journaliste. « Avec la confiance de Lazareff et Prouvost à Paris-Soir, écrit Laurence Campa, de Laffitte et Brossolette à Excelsior, Cendrars se jette dans le reportage ». Il porte beau donc, et sa tête cinématographique de reporter haute époque attire les médias.
D’ailleurs, lors de la conférence de presse de présentation de son arrivée dans la Pléïade à la Maison de l’Amérique Latine boulevard Saint-Germain, la scène alentour pouvait prêter à confusion. Des cars de CRS, des camionnettes équipées de paraboles satellite, des officiers de police en civil, des badauds de part et d’autre du boulevard, il était permis de penser que l’importance de Blaise Cendrars dans le public avait été grandement sous-évaluée. Mais renseignements pris, c’était le président de la république et les parlementaires PS qui s’exprimaient à deux pas. La concurrence était inégale.
Il n’empêche que l’écrivain avait quand même réussi à faire salle comble de son côté sous les ors de ce bel hôtel germanopratin qu’est la Maison de l’Amérique Latine. Sa légende et même ses légendes qu’il avait exprès échafaudées, sont désormais entrées dans cette sorte de Panthéon de la littérature qu’est la collection de la Pléiade, avec cette édition dédiée dirigée par Claude Leroy. Elle permet de faire plus ample connaissance avec l’écrivain, le poète et aussi l’artiste. « Un univers étonnant, écrit encore à son propos Laurence Campa, polychrome et varié comme la vie même » que l’on peut désormais découvrir d’un seul tenant. En vente depuis le 15 mai.
Souvent quand j’ai du blues à l’âme je m’embarque dans le transibérien, avec la petite Jehanne. Je voyage. C’est bien.
(…) « Bien souvent un feu hybride
Electrisait mes ténèbres
Un choc au crâne me détendait
Et je ruais sur ton cœur
(…)
Si j’avais pu ouvrir la bouche
Je t’aurais mordu
Si j’avais pu déjà parler
J’aurais dit :
Merde, je ne veux pas vivre. »
(Tiré de Le Ventre de ma mère)
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