« Quartet », la gaité lyrique

Grâce à  l’art lyrique,  voilà un film réjouissant sur le troisième âge, le chapitre qui souvent précède la dépendance. Produit et réalisé par Dustin Hoffman, « Quartet »  allie gaité, tendresse et humour. La joie de vivre quatre fois personnifiée alors que la vie entame sa fin du chemin. Quartet donne aussi une furieuse envie de se passer en boucle le Rigoletto de Verdi.  Comme Maria Callas ressuscita  la Mamma morta le temps d’un film poignant, « Philadelphia » de Jonathan Demme.

 

Le scénario de « Quartet » tient à peu de choses. Sous la houlette d’un régisseur colérique qui revêt chaque matin des déshabillés de soie dignes de La cage aux folles, les pensionnaires d’une maison de retraite pour vieux musiciens et chanteurs d’opéra préparent  un gala en l’honneur de l’anniversaire de Verdi. Un gala avant tout destiné à assurer la survie financière du luxueux EHPAD. Parmi eux, il en est trois qui ne se quittent guère. Elisabeth, dite Cissy, est une rousse au corps comme au cœur généreux mais qui perd peu à peu la mémoire. Chez elle,  l’Alzheimer est joyeux, jamais agressif : le moins insupportable. A ses côtés, Wilfred dit Wilf campe un séducteur né,  pas de la dernière ondée, avide de tenter sa chance auprès du moindre jupon. Mais sans pour autant s’aigrir de la systématisation prévisible de l’échec. Il a l’œil malicieux sans être obscène et une prostate chatouilleuse à l’excès pour un vrai gentleman. Reginald, alias Reggie, est le plus introverti des trois car meurtri de l’intérieur. Il n’aspire qu’à  vivre «une sénilité digne» en faisant partager sa passion pour l’opéra au travers de conférences organisées au sein de l’établissement.

Tout est calme dans le manoir jusqu’au jour où  débarque la volcanique Jean s’aidant de sa canne (comme celle de Brassens), une ex-soprano en attente de pose de prothèse de hanche. Elle interpréta jadis le rôle de Gilda dans Rigoletto, aux côtés des trois inséparables. De l’un surtout…  

Ce quatuor reconstitué est un régal. On oublie l’âge avancé des membres, on s’émeut de leurs marottes, on s’amuse de leurs disputes et rivalités, on s’attendrit de leurs petits maux, on pardonne leurs caprices. De diva forcément. Mais le véritable héros du film c’est l’opéra. « Quartet », c’est l’art qui illumine la vie, et la vieillesse aussi. La musique souligne, illumine ou traduit la scène, elle en dit davantage que les mots. Ainsi ce violon qui pleure dans la nuit accentuant le trouble intérieur du ténor qui  observe de loin dans la pénombre la chambre éclairée où s’installe  « l’importune ».

« La musique exprime ce qui ne peut être dit et sur quoi il est impossible de rester silencieux », résume Victor Hugo, expert en l’art d’être grand père.  On pense aussi à Proust quand, victime d’une chute, Cissy récupère peu à peu ses esprits en croquant une gourmandise à belles dents – ne fussent-elles pas les siennes. Qui a dit que l’excès de fructose ralentissait  la mémoire ? Autre scène d’anthologie du film, le match entre opéra et rap qui voit Reginald et Joey (le prénom ne doit rien au hasard) s’affronter sur le ring musical avant de conclure mieux qu’un pacte de non-agression, un passeport pour mutuelle compréhension.

Pour sa comédie (si peu) dramatique inspirée de la pièce de théâtre éponyme du dramaturge Ronald Hartwood, Dustin Hoffman a pris le parti de la comédie sans le drame, de l’émotion sans les larmes. Lui qui confiait pourtant, recevant en pleurs les insignes de commandeur des Arts et des Lettres : « vous savez, à partir d’un certain âge on pleure bien plus vite… ».

Pour produire et réaliser son « Quartet », l’Américain s’est britannisé.  Il a d’abord transposé dans les collines brumeuses du sud-est de l’Angleterre la  maison pour retraités de la musique que Verdi  fit construire à Milan place Michelangelo. L’imposante « Casa di riposo per musicisti » de style néo-gothique voulu par le Maître s’est ainsi  métamorphosée en « Beecham House »,  élégant manoir de pur style Georgien. Un changement de décor qui confère à l’opéra et aux établissements érigés son honneur une dimension planétaire. Pour camper ses quatre héros  réunis  le temps d’une réinterprétation de Rigoletto, Dustin Hoffman s’est choisi des acteurs exclusivement grands-bretons. So scottish ou so british. Seule concession du Nouveau Monde au Vieux Continent, Jean alias Gilda empreinte à Bette Davis son caractère trempé et son œil de vieil aigle.

Après quarante-cinq années de carrière, on se dit qu’il était temps que l’acteur américain passe derrière la caméra. Car dans sa mise en scène de vieilles gloires sur le retour, Hoffmann et ses pensionnés chantants  valent bien Eastwood et ses vétérans cowboys de l’espace. A soixante-quinze ans, ce serait dommage que le toujours jeune Lauréat en reste là.

 L’édifiante (et excellente) bande-annonce sur Daily Motion

 

 

 

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