Pour la première fois une grande exposition est consacrée à la Haute Couture, « art majeur de notre temps », annonce Bertrand Delanoë qui l’accueille en sa Mairie de Paris. En exhibant plus de 700 pièces en provenance du Musée Galliera (en cours de travaux jusqu’à l’automne 2013), l’Hôtel de Ville rend hommage au génie des couturiers qui ont fait la mode de 1890 à nos jours. L’exhibition met aussi en lumière le travail des « petites mains » et le savoir-faire des artisans sans lesquels aucun chef d’œuvre n’eût été possible. Cousettes, arpettes, affréteuses, premières d’atelier, mais aussi brodeurs, plisseurs, plumassiers, tisseurs… les travailleurs de l’ombre se hissent sur le podium.
Dans la « HC », tout commence par un dessin. Un simple crobard au fusain, au crayon, à l’encre de Chine et/ou à la gouache. Des vidéos sont là pour immortaliser l’audace très sûre du premier crayonné du créateur, plus explicite qu’un long discours. Les dessins de Lucien Lelong, ornés d’échantillons de tissus collés en marge, expriment la vista du Maître. Rien n’y manque, tout y préfigure le résultat final. Signé Carven, un croquis en noir et blanc de veste cintrée avec pinces apparentes en forme de X trouve sa concrétisation en fin d’exposition au rayon modèles exposés. Emouvant raccourci de l’histoire d’une œuvre.
Les modèles sont présentés sans ordre chronologique. C’est un peu déroutant mais la petite brochure remise à l’entrée pallie le manque de repères. Elle trame un fil d’évolution entre 1867 et 1996. Entre la robe « tea-gown » du premier grand couturier que fut Worth et la robe-manteau façon tailleur que Karl Lagerfeld dessina pour Chanel. Arrêtons-nous sur le premier vêtement qui fut porté par la comtesse de Greffuhle. Il s’agit d’un ensemble très alluré en velours de soie bleu foncé sur satin vert, à col montant et épaules marquées. On dit qu’ainsi parée, la comtesse inspira Proust pour décrire son Oriane de Guermantes.
Passons de la classe au strass avec cette tenue provenant de la collection d’Anna Gould, fille du magnat américain des chemins de fer. Laide et courte sur pattes, celle qu’on appelait la « princesse dollar » s’employait à faire oublier sa disgrâce. Elle ne dut pas passer inaperçue dans cette « robe paradis » griffée Jérôme (sans le C, ni avant ni après). Le vêtement concentre tous les savoirs costumiers de la (Belle) époque : il s’orne de plumes d’oiseau vert vif, s’enlumine de cristaux turquoise et de perles roses et vertes, s’enrichit d’une rose en taffetas de soie cousue sur le côté. Pas de quoi couper court aux railleries moquant l’héritière qualifiée de « belle de dot ».
Le visiteur qui déambule entre les vitrines s’amuse des allers et retours de la mode. Le pouf fait son come back en 1992. Il est présent dans le bel ensemble « coup de roulis » jaune et noir de Christian Lacroix, omniprésent dans la tenue si incroyablement fessue de Thierry Mugler qu’on se demande si la belle avait le droit de s’asseoir. La stupeur cède à l’emballement avec la robe que Valentino conçut pour la femme d’affaires libanaise Mona Ayoub. La toilette est époustouflante de féminité. En tulle entièrement rebrodé de cristaux Swarovski (partenaire de l’exposition), ne présentant aucune couture apparente, elle revêt l’anatomie d’une scintillante deuxième peau. Son vertigineux décolleté dorsal « à la Mireille Darc » (dans le grand blond) est souligné d’un sage ruban de velours noir. Admirable contraste. Autre modèle d’une grande sensualité, l’audacieux fourreau-bustier à bretelles imaginé par Azzedine Alaïa. Il est fait de bandelettes de jersey de rayonne « façon Velpeau » entr’ouvertes comme des jalousies, tout un programme… A porter sans dessous, fussent-ils chics !
Au fil de l’exposition, l’âme des grands couturiers se livre. Jacques Fath penche pour la sobriété, Elsa Schiaparelli cultive l’effronterie (avec ses gants noirs griffés de faux ongles de métal doré), Paul Poiret en pince pour la verticalité, Lanvin (Jeanne) est folle de broderies, Chanel de tweeds introuvables, Christian Lacroix aime ce qui brille, Cardin cible la géométrie, Courrège ose le mini, Paco Rabanne fait danser le métal. Dior a le goût du spectacle. C’est pour la célèbre Maison de l’avenue Montaigne que John Galliano conçut ce fabuleux ensemble « Shéhérazade ». Miracle de la coupe, audace de l’assemblage, cette robe avec manteau couleur topaze brûlée/miel doré transforme la femme en lumineuse chauve-souris.
En fin de parcours, des vidéos font revivre quelques défilés. Les mannequins désincarnés s’avancent vers le visiteur, tels des fantômes du passé. A regarder leurs silhouettes, leurs tenues et même leur façon de bouger nous vient à l’esprit cette sentence de Jean Cocteau « La mode, c’est ce qui se démode». Mais aussi permet de réinventer.
Même l’article est haute couture. PHB
Et on ne pense jamais à l’étonnante complexité du passage du dessin au carton puis à l’habit lui-même. Petites pièces de tissus cachées, points fantômes… et comme le souligne Guillemette toute cette armée des ombres de petites mains discrètes mais talentueuses…
Et ce sera bientôt leur fête avec le muguet du 1er mai !
J irai voir cette exposition.surtout pour Oriane