Qu’il soit permis de commencer par s’affranchir de tout ce qu’il est convenu d’écrire à propos de Keith Haring. Le mieux est de pénétrer cette formidable exposition consacrée à l’artiste américain, vierge de toute idée préconçue. Et quand bien même nous en aurions, elles sauteraient dès les premiers mètres comme autant de pop-corn au fond d’une casserole.
Quel flash. Au loin on aperçoit déjà, comme un objectif à atteindre, l’œuvre emblématique de cette scénographie si bien faite. Franchir le seuil de l’exposition revient à intégrer l’univers mental, introversion et extraversion, de Keith Haring. On se croirait dans une unité de soins, comme à l’intérieur d’un caisson hyperbare, sauf que là nous sommes dans l’enceinte d’un graphisme incroyablement expressif, un assaut de couleurs dont le chatoiement nous éblouit jusqu’au plaisir. Une vraie pilule hallucinogène dont les effets extatiques se ressentent jusqu’après la sortie.
« Out of sight » comme le disaient les freaks de la west coast lorsqu’ils étaient ébahis à la puissance dix, devant un coucher de soleil accentué par leurs pupilles dopées à la drogue du jour. Cet enfant de la fin des années cinquante s’est lâché dans l’art avec une générosité et une inspiration hors normes. On ne compte littéralement pas ses œuvres. Et il n’est jamais devenu vieux puisqu’il est mort à trente deux ans du Sida.
Sur le plan graphique, la maladie et la prévention de la maladie seront ses derniers combats. Auparavant il aura mis son art en révolte à l’égard de l’homophobie, du racisme, de la violence, des médias de masse, de l’argent, de ceux qui font de l’argent (1), de la défense des enfants… Certain artistes camouflent leurs messages dans le subliminal, ce n’est certes pas le cas de Keith Haring qui exprime assez clairement ce qu’il dénonce ou ce qu’il encense voire exauce.
Mais on ne sait plus à la fin vers quoi se tourner tellement son art est attirant, tellement il est jouissif pour le regard. Que ce soit à travers des toiles complexes (susceptibles de mobiliser l’œil sur chacune durant deux heures) ou celles au trait simplissime comme ce phallus à deux pattes semblant absorber un humain.
On ne passera pas à côté de ses tout à fait remarquables masques et sculptures. L’une, comme une effigie grecque, semble inviter le visiteur à poursuivre le parcours, l’autre, une incroyable sirène luminescente, vous accueille déjà dans un autre monde et ce masque sans titre (comme la plupart de sa production) qui vous arrache pour un moment aux œuvres à message. Tout cela est interprétable absolument comme on le comprend, c’est ce que Keith Haring pour une fois laisse entendre, sans l’écrire ou le dessiner.
Le peintre est tombé malade trop tôt pour bénéficier des bi puis des trithérapies qui allaient sauver maints séropositifs. La dernière partie de ce parcours génial (à refaire plusieurs fois on l’aura bien compris) est marquée du sceau de cette maladie avec notamment un autoportrait émouvant, la peau du visage garnie de petits points rouges.
Sur la fin de sa vie déjà menée à tout berzingue, Keith Haring a encore appuyé sur l’accélérateur car il savait la mort proche. Vivez tant qu’il en est temps, nous a-t-il écrit en un dernier graffiti que l’artiste s’est permis de taguer sur quelques uns de nos neurones disponibles et en attente d’affectation. On va faire de notre mieux.
PHB
Photos: ©PHB
Les halls du Centquatre se prêtent à l’exhibition des sculptures monumentales et très colorées de l’artiste. A l’intérieur, on peut voir aussi la gigantesque bâche peinte en noir et blanc à même le sol et figurant l’union allégorique du ciel et de la terre.
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