Billie Holiday s’offre une nouvelle jeunesse Rive gauche grâce à Viktor Lazlo. La comédienne martiniquaise nous fait partager sa passion pour la chanteuse noire américaine morte en 1959. Sa prestation musicale, mise en scène par Eric-Emmanuel Schmitt, est à ne pas manquer (jusqu’au 2 juin inclus). D’autant qu’à l’issue de son précédent spectacle, fin 2012-début 2013, l’artiste m’a confié qu’elle chanterait davantage de blues la prochaine fois. Soit plus d’une vingtaine de mélopées.
C’est une femme énergique et insolente que campe la chanteuse et romancière. Perchée sur des talons vertigineux, sculptée dans un fourreau noir fendu jusqu’en haut des cuisses (elle fut mannequin-cabine), Viktor Lazlo raconte (en français) et chante (en anglais) la vie et les succès d’Eleanora Harris, dite Billie Holiday. Avec la juste distance qu’imposent le rauque de sa voix et sa propre personnalité.
L’évocation de Billie Holiday tourne le dos au misérabilisme, et c’est tant mieux s’agissant d’un divertissement. Lazlo glisse sur l’enfance malheureuse de la chanteuse de blues, elle gomme sa dépendance aux drogues et à l’alcool. Il arrive même que la gouaille du script soit teintée d’humour, noir bien sûr, lorsqu’il est question des hommes de Billie : un père absent, un mari volage et un damier d’amants rarement à la hauteur. La Martiniquaise ne leur fait pas de cadeau. Elle va jusqu’à déboulonner la statue de « Citizen » Welles…
La comédienne s’est donné le look Billie, un gardénia blanc piqué dans ses cheveux basculés sur le côté. En langage floral, cette fleur signifie « je vous aime en secret ». Le message est destiné au public auquel l’Américaine donna tant. Viktor Lazlo sur scène ne donne pas dans l’imitation de son idole. Pourtant elle connait la musique puisqu’elle vient de publier chez Albin Michel une biographie de Billie Holiday. L’interprète et son modèle, la biographe et son personnage… Deux chanteuses qui ont en commun la masculinisation de leur appellation. Eleonora transforma en Billie le sobriquet dont l’avait affublée son père qui voyait en elle un garçon manqué. Sonia Dronier, dite Viktor Lazlo, s’est choisi pour pseudonyme les prénom et patronyme d’un personnage de combat, le leader de la Résistance thèque dans « Casablanca » de Michael Curtiz.
Le spectacle musical alterne donc courtes narrations et chansons. Les mélodies épousent le long fleuve pas si tranquille de la vie de la chanteuse de jazz qui connut le ballotage d’un foyer à l’autre, la maltraitance, le viol, la ségrégation raciale, les drogues (sans exception) et même la prostitution. Mais Viktor Lazlo ne veut retenir du modèle que son addiction à la musique. Billie Holiday sut très tôt s’entourer de musiciens prestigieux, parmi lesquels « The Duke » (Ellington), « Le Lion » (Lionel Hampton), Count Basie, Artie Shaw, Bennie Goodman… Sa vraie famille. De Summer time à The man I love en passant par Georgia on my mind , les blues mythiques s’enchaînent. Et lorsqu’elle entonne Strange fruit, poème fétiche de Billie devenu symbole de la lutte des noirs pour l’égalité, Lazlo prend aux tripes. Au-delà de l’interprétation le transfert.
Les musiciens qui l’accompagnent sur scène sont dignes de leurs illustres prédécesseurs. Un quartet composé d’un saxophoniste ténor, d’une contrebassiste, d’un batteur et d’un pianiste, également directeur musical du show. En composition comme en solo, chaque instrument résonne d’une dimension multipliée. Quelques notes de piano suffisent pour magnifier My man, la fougue du saxo fait s’emballer Me myself and I. Le spectacle regorge de trouvailles phoniques (duo avec la vraie Billie, duo de Lazlo avec elle-même) – autant de prouesses techniques qui soulignent les parentèles et les différences entre les deux chanteuses, au niveau du swing et du timbre de voix.
La scénographie est efficace avec peu de moyens, jeux de lumière, ombres chinoises, panneaux coulissants, sobre mobilier. Il suffit d’un écran de fumée couleur bleue Gitane pour évoquer les assuétudes de Billie. On peut y voir aussi un clin d’œil de Lazlo à Gainsbourg qui composa pour elle Amour puissance six en 1988. Soit écrit en passant, offrir des paroles à une interprète vaut tout de même mieux que lui faire parvenir des fleurs, en guise d’excuse pour lui avoir tenu des propos abrupts sur un plateau télé. L’invétéré fumeur de gitanes se sera mieux comporté avec Viktor Lazlo qu’avec Whitney Houston…
Jusqu’au 2 juin inclus et ne ratez pas la bande-annonce.
Nous ferons désormais davantage attention aux gardénias. Merci. PHB
Bravo Guillemette, je partage totalement ton analyse et merci pour les anecdotes.
Cela me donne envie de revoir le spectacle !
Spectacle musical au Théâtre Rive Gauche jusqu’au 2 juin 2013 inclus et non jusqu’au 28 avril 2013. Très bel article. Merci 🙂
Spectacle musicale au Théâtre Rive Gauche jusqu’au 2 juin 2013 inclus et non jusqu’au 28 avril 2013. Très bel article. Merci 🙂
Merci pour la précision nous avons corrigé. PHB