Il s’est fait pixelliser dans l’indifférence générale. On le trouve tout en haut des messageries électroniques lorsqu’il s’agit de joindre quelque chose, un texte ou une photo, à un email. C’est l’icône moribonde du trombone. A fouiller du regard ce qui meuble les espaces de travail actuels, il est devenu de plus en plus rare. En voie de disparition, le trombone n’est pas une espèce digne d’être protégée.
En réunion, ce petit objet est vite la proie des doigts. On le plie et on le déplie jusqu’à l’envi. Quelqu’un s’est suffisamment intéressé à l’histoire de ce bidule pour en tracer les étapes historiques sur Wikipédia. Il devrait son nom à sa forme qui emprunte elle-même à l’instrument de musique subordonné. Alors que d’autres prétendent que son histoire remonterait aux Byzantins.
On y apprend aussi qu’il n’a jamais été breveté mais que sa production nous vient de Grande Bretagne via la « Gem Manufacturing Company » et ce depuis 1890.
Un coup d’œil rapide sur le web permet de constater que pour moins de 5 euros on peut s’offrir 1000 de ces petites merveilles d’ un format unitaire de 32 millimètres. De quoi déjà faire un joli tas et se sentir riche.
Mais le mieux c’est de jouer avec. Comment ? En s’achetant un aimant. Autre objet désuet qui s’achète pratiquement pour rien. En laissant l’aimant cohabiter avec un bataillon de trombones en tas, ils finiront par s’agglutiner les uns aux autres et ouvriront la voie à d’intéressantes perspectives sculpturales.
Le jeu pouvant lasser, il en est un autre aux effets bien plus intéressants. Il faut d’abord se procurer un petit collisionneur, soit un tuyau fermé en cercle à poser sur le coin d’une table mais suffisamment large pour laisser passer un trombone. Répartir ensuite de part et d’autre, sur tout le pourtour, une alternance d’aimants positifs et d’aimants négatifs. Gêné et même confus par ces champs de force contradictoires, le trombone introduit cherchera à s’en dégager pour mieux se retrouver dans le piège des deux aimants suivants.
Nous voilà de fait aux prises avec un accélérateur de trombones, système bien plus rare et en tout cas bien plus drôle que l’accélérateur de particules. Si ce dernier permet par exemple de trouver des quarks et autres nano-substances en provoquant des collisions sur une plaque en fin de parcours, il y a lieu de se demander ce que produira l’accélérateur de trombones, expérience jusqu’à plus ample informé, jamais tentée par les physiciens.
On peut spéculer ainsi sur la découverte de la substance même du trombone, soit des particules giratoires certifiées conformes par l’administration et dont la finalité une fois assemblées est bien d’adjoindre un document, ou de lutter par exemple contre l’éparpillement de notes de service.
Mais que faire encore après avoir mis à jour et cartographié le cœur même de la matière du trombone ? Eh bien se procurer un fusil tromblon que l’on chargera par la gueule (le propre du tromblon) d’une bonne poignée de trombones et de faire feu sur la première messagerie Outlook qui passe afin de la punir d’avoir dématérialisé le trombone. Sacré nom d’une pipe en bois.
Avertissement : Attention à la trombomanie. A force de s’intéresser au sujet comme l’auteur on peut très bien, par réflexe maladif, se retrouver dans un Office Dépôt à acheter un « magnetic clip dispenser » soit un objet apparenté à une sculpture contemporaine mais en fait magnétique et destiné à ne perdre ni sa tête ni ses trombones. L’objet aurait sûrement ravi Marcel Duchamp, qu’il y trouve ici une sorte d’hommage à sa stature d’artiste.
A’l manière de Tardieu
Quoi qu’a dit ? – A dit rin.
Quoi qu’a fait ? – A joue à un trombone.
A quoi qu’a pense ? – A pense à rin.
Pourquoi qu’a dit rin ?
Pourquoi qu’a joue a un trombone ?
Pourquoi qu’a pense à rin ?
A’ xiste pas
Al trombone non plus ?