C’est un tout petit tableau représentant des « pêcheuses sur la plage de Berck ». Eugène Boudin l’a peint en 1881. Si on ne le rate pas, on s’arrête pour mieux prendre le temps de le regarder. Le peintre a réussi là quelque chose d’intime sur une de ces plages tellement immenses qu’elle sont courbes, du Nord Pas-de-Calais. Il n’y a rien à dire. Cette toile d’à peine vingt cinq centimètres est parfaite. On y sent l’influence de Corot mais Boudin la revendiquait. Jusqu’au 22 juillet, celui qui lança Monet et donc l’impressionnisme, est au musée Jacquemart André.
Cela faisait plus de cent ans (1899) que l’événement ne s’était pas produit à Paris. Il est plus facile de trouver les œuvres du peintre dans son pays d’origine, par exemple au musée d’Art Moderne du Havre, où ses « vaches » tapissent (ou tapissaient) tout un mur. Et voilà donc offerts à un public n’en doutons pas conquis d’avance, ces fameux paysages de la côte normande, du Nord, en passant par Venise ou Antibes. Sachant que l’homme qui n’avait pas peur des kilomètres a aussi tiré des bords depuis Camaret jusqu’à Bruxelles.
Monet l’appelait « mon maître » et les plus grands « retiraient leur chapeau rien qu’en entendant son blaze », expression inspirée du « Cave se rebiffe » mais qui s’applique bien à cet artiste littéralement magistral ayant réussi à s’échapper d’une carrière discrète chez un papetier imprimeur pour mieux satisfaire son goût de l’art.
A Honfleur, à Deauville et jusqu’à Berck, Eugène Boudin (1824/1898) peint avec bonheur ces scènes de plage assez neuves. Son offre est multiple. Il permet d’une part au visiteur de prendre la mesure d’un cadre balnéaire sinon côtier et puis le regard peut ensuite, à travers un réjouissant jeu de piste, aller de détail en détail, au point qu’à force de cadastrer ses huiles au millimètre, on finit dans le domaine de l’abstrait. Boudin, à vrai dire comme d’autres avant lui et d’autres après lui, a fait de chaque surface peinte de sa main des dizaines de tableaux de quelques centimètres carrés. La marque du talent sans aucun doute.
A ce jeu l’exposition durerait trop longtemps et il faut reprendre le pas du flâneur dans cet espace pas si large pour accueillir beaucoup de monde. Il y a une vue de Venise réalisée sur le tard de sa vie qui mérite néanmoins une pause plus longue puisque c’est une espèce de Venise industrielle et non fantasmée que Boudin a su choisir, une authentique « veduta » de la Sérénissime comme en réalisait Guardi qu’il admirait.
Mais s’il fallait revenir sur nos pas, nous retournerions à la plage. Faute de pouvoir nous transplanter vraiment à cette époque, encore qu’à force de concentration on y arriverait presque, ces vues sablonneuses, de cieux et de mers, nous déclenchent un impérieux besoin de vacances en famille ou avec des amis. Eugène Boudin découvrait ces premiers loisirs de plage. Depuis 1936, malgré la systématisation des congés de bord de mer, la plage n’a rien perdu de sa magie et singulièrement ces plages normandes ou du Nord où le beau temps est toujours considéré comme une aubaine alors que celles du Sud sont sans surprises. Merci Eugène Boudin, nous faisons nos valises, nous partons jouer les motifs, pour votre vieux chevalet, sûrement fixé sur son orbite céleste.
Magnifique !