L’affiche de l’exposition au Jeu de Paume comporte en son centre une photo réalisée au charbon Fresson, mais ce sont surtout les photos de paysages de Laure Albin Guillot, utilisant le même vieux procédé, qui se singularisent par l’élégance et la sensibilité de leur rendu. Dans un paysage de fin d’automne ou de début d’hiver, l’impression d’humidité passe le papier et interpelle inhabituellement nos rétines.
Pour ce qui est de cette photo tête d’affiche, elle représente un travail d’illustration destiné au Narcisse de Paul Valéry. La vie professionnelle de Laure Albin Guillot (1879/1962) se divise en plusieurs séquences (dont l’illustration) à partir desquelles la scénographie de l’exposition est bâtie. Grâce à son expérience des nus, Laure Albin est même allée jusqu’à illustrer Bilitis, des poèmes lesbiens de Pierre Louÿs publiés en 1894. Cet ouvrage en vitrine se trouve à la fin du parcours et l’on voit des regards masculins ou féminins surpris, ralentir sur cet accordéon d’images à la fois sages et pas sages.
Les nus de la photographe n’ont d’ailleurs pas été sans poser de problèmes invraisemblables au Musée du Jeu de Paume qui a vu sa page Facebook censurée. On peut lire un article étonnant de Libération à ce propos (1).
On aimera cette exposition de bon niveau tout comme celle, rappelons-le, organisée autour de Jacques-Henri Lartigue (2) à Tours également estampillée Jeu de Paume.
Si l’on reprend le séquençage à zéro, le parcours commence par la vie en studio de Laure Albin Guillot. Des portraits (Jouvet, Valéry, Cocteau, Anna de Noailles…) et les fameuses études de nus donc, jalonnent cette introduction des plus plaisantes. On ne peut que saluer le résultat de l’artiste étant donné la lourdeur des techniques d’antan. Ce portrait de Louis Jouvet entre autres, réalisé en 1925, a tout pour séduire avec d’abord la pose originale de l’acteur, la répartition des flous et pour tout dire, son inspiration.
On peut être plus dubitatif en revanche devant ses photos réalisées au microscope et qui lui ont conféré une notoriété immédiate dès 1931. On peut comprendre qu’à l’époque, l’idée comme les résultats aient pu faire sensation. En 2012, l’indifférence serait probablement au rendez-vous. Il reste que ce faisant, elle a obtenu quelques compositions intéressantes cousinant avec l’art abstrait. Tout cela nécessitait quand même une pulsion innovatrice, une certaine audace et de l’imagination. Le tout lui a permis se démarquer. Pas inutile lorsque l’on doit vivre de son talent et gagner sa vie sur sa signature.
Deux plus tard, la photographe se fait encore remarquer en publiant un livre théorisant la photographie publicitaire. Dans ce domaine sa technique fait merveille et l’on est vite conquis par ses publicités pour les produits Gibbs ou la composition vantant en 1945 les tubes de pommade-vaccin Salantale. Laure Albin Guillot fait preuve de toute évidence d’un sens de l’esthétique et de l’élégance qui ne pouvait que valoriser le produit. Des oeuvres qu’elle signe.
Mais à la fin on retiendra de tout ça les subtilités du travail de Laure Albin Guillot, délivrées au sens propre, par le charbon Fresson. Si le procédé ne fait pas encore partie des fonctionnalités de Photoshop, il n’en est que plus précieux à considérer.
Chemin faisant sur le web, il apparaît qu’un atelier Fresson perpétue la tradition à Savigny sur Orge. On y apprend notamment qu’en 1899 un certain Théodore-Henri Fresson présenta cette nouvelle technique à la Société française de photographie. Et sur leur site, sous l’onglet « historique », Laure Albin Guillot est citée comme étant l’une des figures ayant personnalisé l’utilisation du papier charbon en plus de ses travaux à l’argentique. Le tout garanti sans pixels.
Le site de l’atelier Fresson. (1) L’article de Libération. (2) L’expo Lartigue.