Je ne l’ai pas tout de suite reconnu. Je l’avais pourtant déjà à plusieurs reprises, vu sur scène, mais dans un tout autre registre. Là, charmant auteur-compositeur-interprète au goût animalier, volontiers gouailleur, ici comédien-poète au service impeccable d’un étrange conte. J’hésitais car ce soir-là le bonhomme a le cheveu propre et luisant. Ca n’a l’air de rien, mais ça change un homme au même titre qu’un joli costume. Mais, à la voix rauque, j’ai dû me rendre à l’évidence, c’est bien Thomas Fersen qui était sur les planches du Théâtre de l’Athénée.
Le chanteur, pardon, l’apprenti comédien, y joue en solitaire (et les musiciens, alors ?! Nous y viendrons) l’Histoire du Soldat, un récit d’embrouille avec le diable en personne (interprété également par Thomas Fersen lorsqu’il enfile un inquiétant gant rouge) composé par Igor Stravinsky et écrit par Charles-Ferdinand Ramuz.
Le pauvre soldat va passer sa vie à courir après le temps et l’argent après avoir naïvement accepté un pacte avec le diable (allo, allo, Faust ?), en l’occurrence l’échange de son violon (ici, un pistolet) contre un livre où l’on peut tout lire, et surtout l’avenir. Patatras, « on ne peut pas tout avoir, c’est défendu » se lamente rapidement le soldat, que personne ne reconnaît plus puisqu’il s’est perdu dans les méandres du temps.
Bref, c’est alambiqué, philosophique, ce qu’on voudra, à vrai dire on y comprend tout ou rien du tout. Qu’importe. Souvenons-nous que la pièce fut créée en 1917 par un Igor Stravinsky réfugié en Suisse pour cause de Révolution dans sa Russie natale. Le compositeur est véritablement perdu entre nostalgie impériale et espoir de retour à meilleure fortune. On se laisse donc entraîner, bon gré, mal gré. Et Thomas Fersen est pour cela un guide très convaincant.
Surtout, cette Histoire du Soldat vaut également le détour par sa mise en scène, signée Roland Auzet, d’ailleurs à l’origine du projet. En fond de scène, six musiciens sont comme suspendus (le percussionniste étant caché côté cour), assis individuellement et disposés de façon aléatoire sur un grand panneau aussi blanc que leur tenue. Les incessantes projections vidéo sont du plus bel effet, elles habillent la scène mieux que le ballet de chaussures que le comédien s’entête à orchestrer. La pièce devient alors source d’expérimentations sonores et lumineuses, c’est high tech à souhait. L’espace confiné de l’Athénée convient bien à cette implosion.
Quant à la partition, elle nous abreuve comme il se doit pour l’époque d’un ensemble un brin tapageur, le cornet à piston et le trombone en faisant voir de toutes les couleurs au violon, à la clarinette ou à la contrebasse. Ce grand « badaboum » représente à merveille les tiraillements du soldat, victime d’une diabolique marche militaire. Qui le conduira en enfer.