L’Avenue Montaigne s’encanaille. Pour 58 euros à l’orchestre, et 20 euros tout là-haut (hors frais de réservation, s’il vous plaît), le bourgeois peut y contempler actuellement, à la Comédie des Champs-Elysées précisément, la Folle de Chaillot. Le décor est clairement posé, manichéen en diable. Côté cour, l’obscurité du financier, côté jardin, la lumière des sans-le-sou. Devinez qui va l’emporter …
La pièce de Jean Giraudoux a été créée en décembre 1945, près de deux ans après le décès de l’auteur. Comme à l’heure de son écriture, l’ambiance est pour le moins sombre. Il ne s’agit de rien de moins que de sauver Paris, et donc le monde, de la rapacité des financiers, des profiteurs du bien commun, du bon air comme, en l’occurrence ici, des richesses prétendues du sous-sol.
Rassurez-vous tout de même, ce conte finit bien, le petit peuple parisien aidé de quelques vieilles aristocrates déjantées, va exterminer les tenants de l’argent-roi qui gangrène la société. Ils la gangrènent à tel point que ces Messieurs (l’homme dans son costume noir est la personnification du mal) pensent pouvoir détruire Paris pour y exploiter du pétrole, sur fond de coups financiers tordus. L’appât du gain fait oublier le plaisir même de la vie. Par bonheur, une bande de gueux est là pour sauver le monde du néant, avec à leur tête la Folle de Chaillot.
Je ne pourrais nier que le sujet est d’une brûlante actualité, selon la formule consacrée. «La pièce fait écho à notre époque de manière pertinente» indique d’ailleurs le programme. C’est un sésame, prenez une pièce classique au sujet intemporel, ici l’argent, le pouvoir, le bonheur simple de la vie, vous tenez l’argument de distribution.
Imaginez, l’auteur pousse le souci du détail jusqu’à évoquer les méchants de la Société Générale ou du Crédit Lyonnais. «Ce qu’on fait avec du pétrole. De la misère. De la guerre. De la laideur. Un monde misérable». Aïe, attention, c’est brûlant, je vous ai prévenu. La pièce pourtant a vieilli.
Anny Duperey campe ce personnage-titre complètement fou en effet, aux fripes colorées. Elle est la star sur son piédestal. Ses copines ne déméritent pas dans le style. Avec l’aide notamment du chiffonnier (magistral Dominique Pinon, sa tirade-plaidoirie est un régal), du musicien de rue, du jongleur ou de la plongeuse de café, tous impeccables, elles vont nous démontrer s’il en était besoin qu’en France, on n’a pas de pétrole, mais des idées.
Le texte malheureusement ne nous épargne pas des longueurs, qu’on peut agréablement occuper en contemplant les riches décors de Bernard Fau.
Le metteur en scène Didier Long réussit tout de même à orchestrer de façon assez vive le ballet des nombreux comédiens (18 si j’ai bien compté, mais ils bougent beaucoup). Mention spéciale pour l’ouvreuse et sa ritournelle des petites pièces, elle joue à merveille son personnage de mise en condition pour ce spectacle dénonçant les méfaits de l’argent.
Effectivement, j’avais déjà vu cette pièce il y a 5-10 ans à Paris et, si mon souvenir en est imprécis quant au lieu où elle s’est jouée (peut-être bien à Chaillot, justement), je me rappelle assez bien qu’elle était interminable et sans grand éclat (je parle du texte). Bref, je pense passer mon tour cette fois-ci (surtout à ce prix), d’autant plus que je reste sur un plaisir simple (il y a 3 jours), au Connétable (rue des Archives à Paris) : une évocation fort réussie du Roman de Renart en une heure, un comédien inspiré et un violoncelliste…