Mise en perspective cubique

Alors voilà, c’est une histoire, vraie autant que je puisse m’en souvenir.  Non je recommence, c’est une histoire vraie, mais tellement étonnante que il m’est arrivé d’en douter. Et puis non, j’en ai été le témoin. « Bruno je t’arrête, tu n’as pas envie de raconter autre chose, genre le cinéma hollywoodien et les juifs, par exemple, non ? »

Comment tu sais ce que je veux raconter ? « Tu as de ces questions, je suis toi, enfin  ton toi, je suis censé t’éviter de partir en vrille et… » Bon, c’est ça, tu t’occupes de mes vrilles et moi,  je cause. C’était dans les années 70, au département cinéma et audiovisuel de Paris VIII Vincennes. Je suivais un cours de… enfin peu importe, et du cours et du nom de l’enseignant. Une chose agaçait ce dernier, les étudiants africains.

«Aïe, il est parti !» C’était il y a quarante ans, et dans les facs, étudiait la quasi première génération de l’ère du post colonialisme. Des jeunes issus de l’élite locale, issus aussi d’une période (les années cinquante) où la France occupait  le terrain en veillant à surtout ne pas former des cadres locaux. Et force est de constater que je caricaturerais à peine ces étudiants en les qualifiant  « de fils de ministres ». On était très loin des générations qui ont suivi, celles des immigrés à la fois plus pauvres mais aussi plus cultivés.

Ces « fils de ministres », ne se mélangeaient  guère d’ailleurs avec le reste des étudiants et, quant aux travaux qu’ils produisaient, seul le politiquement correct les épargnait de quelques sarcasmes. Il est vrai que voir dans un film, un ministre africain, débitant un discours n’ayant aucun intérêt avec un micro caché par un énorme bouquet de fleurs pouvait laisser perplexe.

Le prof en question proposa une expérience curieuse. Il demanda à la classe de dessiner un cube… Dessiner un cube !

Les  étudiants français en dessinèrent donc un, en perspective, classique quoi. Les étudiants noirs …  « Enfin ! Je me demandais quand tu allais te décider d’écrire noirs ! »  Je peux continuer ? Merci. Les Africains dessinèrent un  cube éclaté, six carrés côte à côte.

Seconde expérience, celle du story-board : il fallait dessiner quatre personnages, deux derrières une table, deux devant. Peu importe la qualité du dessin, les Français sont arrivés vaille que vaille à marquer la profondeur de champ, les dessins africains, eux,  indiquaient une table et en rang d’oignons quatre personnes.

L’histoire de la perspective, car c’est de cela dont il s’agit, marque le début de la Renaissance. Les Romains la connaissaient-ils ? Je me rappelle ainsi avoir vu une pièce de monnaie à l’image du Colisée : un carré surmonté d’un rond. Malgré tout, il demeure un doute pour la Rome antique, certaines fresques de Pompéi sont très proches de la représentation en projection. Artistes géniaux… où pas ?

La complexité de l’architecture romaine, l’élégance grecque, la puissance égyptienne, et même nos cathédrales et même la sublime Sainte-Chapelle n’ont pas attendu Léonard de Vinci ou Michel-Ange pour montrer la grandeur des civilisations. Cela n’a donc rien à voir avec l’intelligence des peuples.

«Fais gaffe Nono, tu arrives sur un terrain glissant, et puis cette non communication est de fait connue, tu ne découvres rien

Illustrations: Philippe Bonnet

La représentation du monde crée un système de pensée. Quand on dessine un cube en perspective, automatiquement on suppose qu’il y a trois carrés qui, bien que n’étant pas dessinés, existent quand même.

La perspective est une interprétation du monde. Le langage aussi : le Gaélique par  exemple fonctionne en image ; le Chinois se chante, un même mot prend un sens différent selon la manière dont il est dit.

La mondialisation ne sera pas magique,  ni avec la Chine, ni ailleurs. Les foules en liesse au Mali n’applaudissent de la même chose, ni même ne se la représentent,  que le général machin, le banquier  truc ou l’ONG chose. « Stop mon Bru, ça devient trop sérieux. D’ailleurs, tu voulais dire quoi ?» En fin de compte rien… peut-être qu’il est quand même des moments magiques quand des cultures différentes se mélangent pour nous offrir un nouveau bonheur. La musique au Mali et Ali Farka Touré dont je ne me lasse pas, par exemple… Dieu que la paix du monde peut-être belle !

 

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3 réponses à Mise en perspective cubique

  1. Bruno Sillard dit :

    Merci Philippe, j’adore ce cube qui se déforme…

  2. Philippe Bonnet dit :

    De rien. Tes écrits créent un système de pensée! PHB

  3. Philippe Bonnet dit :

    Il est curieux de constater qu’il y a très peu de choses cubiques dans la vie à part les dés, le Rubik’s cube, bien sûr, les apéri…, les bouillons…. etc… Mais chercher quelque chose de purement cubique dans la rue est assez rapidement vain. PHB

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