Alors que la plupart des grandes expositions ont fermé leurs portes à la mi-janvier, le musée d’art moderne de Dunkerque, le LAAC, présente jusqu’au mois de mars une grande rétrospective du mouvement COBRA.S’il n’a duré « officiellement » que quelques années – de 1948 à 1951 -, ce mouvement artistique a réuni quelques enfants terribles de la peinture dont l’une des caractéristiques était l’opposition radicale, parfois violente, aux différents formalismes des plasticiens au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’appellation elle-même du mouvement marque la volonté de rupture avec le centralisme parisien.
COBRA proclame haut et fort son appartenance à l’Europe du Nord, puisque le nom est formé avec les premières lettres de CO (penhague) BR(uxelles et A(msterdam).
C’est pourtant à Paris, le 8 novembre 1948, que ce petit groupe d’artistes déterminés à en découdre avec l’art existant se constitue. Il y a là, entre autres, l’écrivain belge Christian Dotremont (à qui on attribue la paternité du nom du mouvement), le plasticien belge Pierre Alechinsky (toujours en activité), le Danois Asger Jorn, les Néerlandais Karel Appel, Guillaume Corneille. Ce qu’ils vont exposer sera brutal, sauvage, primitif. On parlera d’un art « préhistorique ».
En visitant l’exposition qui coïncide avec les trente ans de la création du musée dunkerquois, on sera frappé par ses étranges réminiscences de peintures rupestres, ses parentés avec l’art brut, comme si les artistes n’avaient jamais connu leurs grands ainés. Les oeuvres rassemblées (plus de deux cents) témoignent toutes de cette spontanéité recherchée, cette immédiateté parfois déroutante. L’inspiration provient parfois de légendes nordiques ou plus simplement… de dessins d’enfants.
Faisant fi des conventions esthétiques pourtant déjà mises à mal par le surréalisme, les « Cobra » privilégient l’improvisation quasi totale, un peu à la manière des pionniers du free jazz.
Rançon de cette radicalité dans l’expression : l’ensemble de ces pièces ne se laisse par aisément apprivoiser. S’il y a jeu, il y aussi ironie; s’il y a rire, il est souvent grinçant. L’une des pièces maîtresses de l’exposition, l’Appel Circus » (présenté en permanence au musée), est sans doute la métaphore la plus abordable du mouvement Cobra, puisque l’art du cirque est précisément celui de la caricature et de l’ironie, associé à la vivacité des couleurs et à l’exagération des mouvements.
Mais l’exposition présente un intérêt d’un tout autre ordre. Si elle s’intitule « Cobra sous le regard d’un passionné », c’est que le musée doit son existence au don que fit un amateur exceptionnel que rien, a priori, ne destinait à devenir collectionneur.
Gilbert Delaine, dont la spécialité était la gestion des voies navigables, eut la révélation de l’art en découvrant, presque par hasard, une œuvre du peintre d’origine polonaise Ladislas Kijno (disparu en novembre dernier à l’âge de 91 ans). L’émotion ressentie allait déterminer le reste de sa vie. Il entretint avec les plasticiens de son époque des rapports étroits et amicaux. Il connut notamment Arman et Klasen, deux figures marquantes de la deuxième moitié du XXe siècle. Sa collection devint considérable (un millier d’œuvres !) et il en fit don à la ville de Dunkerque. Un musée d’art moderne fut spécialement construit, avec un jardin de sculptures, face à la mer du Nord, selon une architecture de Jean Willerval.
Gilbert Delaine, 79 ans, était présent à l’ouverture de l’exposition. S’il a connu personnellement tous les artistes dont les œuvres sont accrochées aux cimaises, il reste cet homme discret et modeste qui n’a jamais associé le mot d’art à celui de placement ou de spéculation.
LAAC (Lieu d’art et d’action contemporaine) 59140 Dunkerque
Tél.03 28 29 56 00
Tous les jours sauf le lundi.
Jusqu’au 3 mars.
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