C’est un petit bijou de lecture (ou de relecture) à ne pas manquer. Un pur moment de bonheur que ce concentré, cet élixir d’amour de la vie animale sous toutes ses formes, tout ce qui trotte, grouille, rampe, plonge, saute, serpente, vole… L’ouvrage livre la quintessence d’existences en définitive pas si ordinaires puisqu’échappant à qui ne prend jamais le temps d’observer.
Homeric nous livre ici un magistral regard sur la nature, flore et faune entendues, plein de lyrisme et de poésie. Un enchantement. Tournant casaque, il délaisse pour une fois son cher cheval pour s’intéresser à ces petites créatures qui à nos côtés, au-dessus de nos têtes ou sous nos pieds naissent, vivent, aiment et meurent, se battant pour survivre. Et qui tuent aussi avec une incroyable cruauté. Chez eux aussi Eros n’est jamais très loin de Thanatos mais on pardonne volontiers leur férocité : eux agissent toujours par nécessité.
D’une écriture ciselée, avec toujours le mot juste, l’image ajustée, le nuancier approprié, l’écrivain-journaliste nous fait partager sa complicité d’avec son prochain rustique. Son regard et sa plume ruissellent d’empathie pour ces petits êtres à pattes, à plumes, à poils, à écailles, à ailes et à élytres. Il les débusque avec précaution, les observe avec délectation, les décrit avec une infinie tendresse. Y compris les insectes nécrophores (amateurs de cadavres). Sujets animés, avez-vous donc une âme… Ses minutieuses explorations de nos écosystèmes sont riches d’enseignements. Ah si les élèves l’avaient pour professeur de sciences naturelles, nul doute qu’ils vénèreraient la matière scientifique autant que celle littéraire !
Homeric (pseudonyme que Frédéric Dion adopta en double hommage au poète aveugle ainsi qu’à un certain cheval anglais malchanceux) excelle dans l’art du portrait. On le savait depuis son magnifique hommage à Ourasi, ce trotteur alezan quadruple vainqueur du prix d’Amérique. Dans « D’autres vies que la nôtre », il personnifie ses sujets, révèle leur tempérament, les met en scène comme des vedettes. Ses saynètes tiennent davantage du conte poétique que de la fable moralisatrice (à la Jean de La Fontaine) ou du quatrain à dimension ludique de Guillaume Apollinaire dans son bestiaire. Si l’humour transparaît dans chacun de ces ouvrages, la prunelle d’Homeric est tendre et indulgente, jamais critique. Sauf à l’égard des chasseurs, pêcheurs et autres dispensateurs d’engrais ou de pesticides auxquels l’ex-chroniqueur hippique réserve ses flèches et ses plombs.
Pour décrire ces lilliputiens de nos campagnes, notre ex-citadin devenu un brin misanthrope, juste accompagné de son sympathique rouquin greffier, n’a nul besoin de microscope. Juste d’un peu de patience et d’une ample curiosité. De bonnes chaussures aussi. Il n’est ni savant (encore qu’on apprenne beaucoup dans ses historiettes), ni entomologiste, ni même paparazzi de stars champêtres puisqu’émerveillé par ce qu’il voit il en oublie de déclencher son flash ou d’ajuster la molette de son zoom. Son regard se teinte d’ironie quand sous la carapace ou le pelage de l’animal il débusque l’homme. Notons au passage l’élégance d’Homeric qui dans son ouvrage cite volontiers ses sources et, mieux, donne envie de s’y référer.
Publié chez Grasset, préfacé par Elisabeth de Fontenay essayiste spécialiste des rapports entre hommes et animaux, l’ouvrage compte une quarantaine de chroniques diffusées dans Libération en 2011 et 2012. Une compilation dans laquelle vous trouverez délice à vous (re)plonger, chacune de ces historiettes ouvrant l’appétit pour la suivante. Pour en livrer un aperçu, j’ai retenu la description de deux femelles que tout oppose – au fond comme en l’apparence – la cruelle hermine et l’innocente chauve-souris. Dans la première, par delà son «minois à croquer à la Audrey Hepburn * en fourrure», l’auteur perçoit «une petite Dracula en culotte de velours». Alors que dessinant la seconde, «drapée dans son parapluie d’ailes (…), ses doigts craquant de délicatesse, cinq pinceaux de poupée», il réhabilité au passage un héroïque destin si injustement critiqué.
* Paix à l’âme de l’actrice distinguée, au yeux de biche et au long cou de cygne, égérie de la marque Givenchy à la succession de laquelle seule Inès de la Fressange put à mes yeux prétendre.