Comme le collectionneur Olivier Senn vers 1933, on aurait bien mis la main à la poche pour acquérir ce nu qu’Albert Marquet avait réalisé en1918. Intitulée « La Femme blonde », cette œuvre frappe par sa simplicité et son intemporalité. Elle se démarque des dizaines de toiles exposées actuellement au Musée de Luxembourg.
Avec Le Cercle de l’art moderne, cette exposition porte le nom de l’histoire qu’elle raconte. Celle d’un groupe de collectionneurs et d’artistes qui avaient décidé de s’associer en 1906 en un cercle afin de promouvoir l’art moderne au Havre.
Il y a encore des gens en vie aujourd’hui, bienheureusement pour eux, qui se souviennent du Havre d’avant-guerre dont il ne reste plus rien en raison des bombardements intenses. Et justement, le parcours scénographique débute par quelques photos anciennes qui nous apprennent à quoi ressemblait le Havre avant et singulièrement au 19e siècle, quand les grands bateaux à voile quittaient le port en flottille. L’image a été captée par Gustave le Gray.
Une émotion vite relayée par la peinture. Ils sont tous là, une trentaine, représentatifs de l’appétit artistique des collectionneurs havrais. On y trouve bien sûr et en premier Eugène Boudin, Havrais et précurseur instinctif de l’impressionnisme. C’est lui qui encouragea le jeune Claude Monet à aller peindre « sur le motif ». On sait ce qu’il advint de ce conseil : un fameux soleil levant.
Le nu de Marquet n’est pas représentatif de cette exposition qui donne naturellement dans la vue portuaire, paysagiste. Les amateurs du genre pourront assouvir leur fringale, les collectionneurs havrais ayant ramené beaucoup de belles signatures dans leurs filets avec outre Marquet, des Dufy, des Pissaro, des Jongking, Monet, Sisley, Guillaumin, Van Dongen, Modigliani, Camoin… Du pré-impressionnisme jusqu’aux fauves avec, c’est à noter, une toile cubiste. La palette exposée revisite l’histoire d’une certaine peinture moderne que d’autres genres pourtant, allaient vite dépasser.
Ce qui peut frapper justement, si l’on prend un peu de recul derrière la haie des visiteurs qui ceinturent le parcours, c’est d’une part l’état de fraîcheur de certaines toiles (on les dirait peintes la veille) et d’autre part le coup de vieux qu’elles ont pris. Quelques unes, allons jusqu’au bout du raisonnement, ne dépasseraient pas aujourd’hui l’étal d’un marché de banlieue le dimanche matin. Non qu’elles soient vilaines ou bâclées bien entendu, leur qualité n’est pas en doute, mais une forme de préjugé contemporain ne peut que les affecter voire les assassiner. Trop jeunes ou pas assez vieilles comme l’on voudra, elles subissent, par voie comparative, une sorte de déclassement ingrat.
Ce n’est pas vrai de toutes. On y trouve par exemple un Corot qui confirme la classe inusable et étonnante de son auteur. Ou encore une parfaite valse de Valloton, toujours acheté par Senn. Certains auteurs passent toujours la rampe, mais peu à peu l’histoire semble faire son tri.
Le mieux sans doute est de laisser à l’entrée nos propres idées de la modernité. Profiter de cette exposition nécessite de faire abstraction de la culture Warhol ou Basquiat et de faire preuve d’empathie pour ces Havrais à court d’oxygène culturel qui avaient su se secouer pour introduire l’art moderne dans leur ville. Du reste, on ne croise pas leurs ombres au Luxembourg. Ils seraient plutôt au Palais de Tokyo, à la Fondation Cartier ou chez Gagosian au Bourget afin d’étancher comme il se doit leur soif inextinguible de modernité, cette question infinie.
Philippe, je te laisse tout Basquiat et Warhol pour le seul Port de Marseille de Charles Camoin présenté au Musée du Luxembourg.