Par chance, les organisateurs de l’exposition autour de Jacques-Henri Lartigue n’ont pas oublié la photo majeure de son œuvre. Le musée du Jeu de Paume, dont la double exposition parisienne actuelle est un peu décevante, a excentré à Tours ce photographe à l’élégance hors norme qu’était Lartigue. Heureux tourangeaux qui pourront tâter jusquà fin mai de ces bonheurs subtils que les photos de Lartigue distillent.
La scène se passe en 1920 à l’hôtel Eden Roc, l’un des plus chics de la Côte d’Azur. Et l’on peut supposer qu’il faisait beau. Lartigue déjeune avec son amie Bibi. La photo peut se passer de légende car tout y est écrit en images. C’est la fin du repas et la bouteille de Bordeaux est presque vide. Lartigue prend petit à petit conscience, ce qui semble caractériser tout son parcours, de la magie de l’instant. Celui=là est exceptionnel en tout point. La lumière diffuse se nuance de bleu, de rose, de jaune, de gris.
On devine qu’au-delà de la fenêtre, le panorama est éblouissant à cause du reflet de la mer qui accentue l’irradiation solaire. Peut-être est-ce pour cela que Bibi a baissé son chapeau. Ou alors s’agit-il d’une coquetterie, comprenant que son compagnon allait prendre une photo. Ou encore lui a-t-il demandé de le faire pour parfaire la mise en scène mais c’est l’option la plus douteuse.
Jacques-Henri Lartigue s’est donc levé sans préméditation, abandonnant sa serviette sur une chaise. Gageons que d’emblée il a effectué le bon cadrage puis enclenché l’obturateur. On ne sait pas si c’est avec impatience qu’il a attendu de voir le tirage de cette composition unique. Mais le résultat en fait une des (allez) dix meilleures photos de tous les temps.
Quand on regarde son parcours de photographe adulte car il a commencé très jeune, on ne peut que remarquer une constante. Les lieux sont toujours élégants, la lumière est idéale, les personnages sont souvent les siens. Il y a du situationnisme chez Lartigue. En ce sens que le photographe sait comment et surtout où cadrer précisément le bonheur.
Il est né en 1894 et mort en 1986. Dès que son père lui offre un appareil photo. Il se lance. Ses autos miniatures, son frère, sa cousine Bichonnade à qui il fait dévaler les escaliers du perron pour mieux la saisir en plein vol, il fait de ses premiers sujets tout à la fois un terrain de jeu et ses années d’apprentissage. Et puis il y aura sa vie, fragmentée par ses compagnes (Bibi, Renée, Florette…) et tous ces lieux que l’on devine chics, en bordure de lac ou de mer.
Il photographiera également des artistes (Van Dongen, Picasso…) et abondamment Paris au moment de la Libération. Il restera aussi celui qui a photographié Valéry Giscard d’Estaing fraîchement élu qui voulait une photo tout sauf officielle. Lartigue était évidemment le bon choix (à dire avec l’accent giscardien).
Jacques Henri Lartigue se prenait pour une «espèce d’habitant d’étoile venu sur terre uniquement pour jouir du spectacle». Il se voyait spectateur «pour qui tout est marionnette» y compris lui. Dans le journal qu’il tient, il livre avec un certain lyrisme certaines de ses passions en écrivant par exemple que son «amour pour Renée était une maladie splendide et insupportable, invivable dans l’époque actuelle». Ou encore «Florette me donne sa jeunesse, sa fraîcheur, sa beauté, son amour. Et moi je me sens dur, intransigeant, sévère. Je me suis profondément antipathique (…)».
Pour Bibi à l’hôtel Eden Roc en 1920, pour Renée à Biarritz en 1930, allez voir Lartigue et son style resté unique au château de Tours.
Bonjour,
Quand vous nous présentez une exposition , vous serait-il possible de joindre le lien web pour accéder directement au site de l’exposition?
Encore merci pour ce magnifique article ainsi que tous les autres!
Bonjour, le lien se trouve tout en bas sous la mention « jusqu’au 26 mai ». Merci pour vos compliments. PHB
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