Le thé n’est pas un camélia comme les autres

A première vue, le risque pourrait être fort qu’une exposition sur le thé se résume à une histoire de bols et de théières. Evidemment, le musée Guimet fait moins trivial qui profite de l’occasion pour nous apprendre que le bol a précédé, et de plusieurs siècles, la théière : quand le thé était fouetté, c’était dans un bol ; il a fallu attendre l’infusion rendue obligatoire par un décret de 1391 prônant la simplicité pour voir apparaître la théière. C’est l’une des «histoires d’une boisson millénaire» qui nous sont contées dans un enchaînement donc…de bols puis de théières. Mais il serait primaire de prendre ça à la légère.

Avant de déguster votre prochaine tasse d’oolong ou de matcha, pensez un peu : un théier – de la famille des camélias – produit environ 300 grammes de feuilles par an ; ces 300 grammes produiront 65 grammes de thé. Et pour perdre 235 grammes, le subtil processus  permettra d’offrir in fine une palette multicolore du précieux breuvage. Selon que le producteur cherchera à obtenir du thé blanc, vert, jaune, bleu-vert, rouge ou noir, il fera subir à sa récolte divers traitements en jouant de l’intensité et de la durée qui font le savoir-faire : cueillette, séchage / oxydation, étuvage, sudation,…

La couleur du thé ne vient pas d’une espèce de théier ou d’une autre (sauf le rooibos d’Afrique du Sud), tous les théiers produisent les mêmes feuilles. Avant même le traitement, l’art de la cueillette crée déjà la différence : en version impériale, on ne récolte que le bourgeon et la première feuille ; en version raffinée, on garde le bourgeon et les deux premières feuilles ; pour une récolte plus ordinaire, on prend les trois feuilles qui entourent le bourgeon, on ne trie plus. Dans ces conditions, on accepte assez volontiers que la culture du thé soit, après celle du riz, la plus grande utilisatrice de main d’œuvre.

Ai Weiwei/Ton of Tea, 2005/ Tonne de thé compressé/ Copyright M + Museum of Visual Culture, Hong Kong. Don de la collection Sigg

Tout ça depuis plus de 4000 ans, depuis que l’empereur Chan Nung, fatigué d’une longue course à cheval, s’est arrêté sous un arbre pour se réconforter d’un bol d’eau bouillie dans lequel ont délicatement chu quelques feuilles de l’arbre qui offrait son ombrage. Chan Nung a été conquis par cette eau parfumée. Le thé était né et bien né : impérial. L’histoire ne le dit pas mais Chan Nung ne devait pas être bien grand : le théier moyen mesure 1,50 mètre et ressemble plutôt à un buisson ! Mais admettons qu’il se fut agi d’un théier sauvage comme il en pousse aux confins du Yunnan, du Laos, et autres zones montagneuses de Birmanie, et qui atteignent jusqu’à 6 mètres de hauteur.

Tout ça pour dire que le musée Guimet nous apprend mille petites histoires sur le thé tout en nous donnant à boire – un thé « Guimet » créé pour l’occasion est en dégustation à l’entrée – et à voir. En quelques salles s’enchaînent les trois grands âges du thé : bouilli du 7ème au 10ème siècles, battu du 11ème au 13ème siècles,  infusé depuis. Et selon qu’il a été, au fil du temps, bouilli, battu ou infusé, bu par les nobles, les lettrés, les moines ou les Occidentaux du 18ème – pas seulement les Britanniques mais aussi les Néerlandais, les Russes –, le thé a contribué à l’éclosion prolifique de toutes sortes d’ustensiles dont la beauté et la finesse permettent de comprendre la vénération portée à cette boisson stimulante (stimulante par opposition au café « excitant »).

Ainsi pour que l’écume blanche et mousseuse du thé battu au fouet soit un spectacle pour le buveur, les céramistes ont imaginé des grès sombres aux motifs marbrés baptisés «fourrure de lièvre, plumes de perdrix, écaille de tortue…». Les céladons,  eux, se parent de tous les reflets. Plus tard, les artistes chinois acclimateront l’émail rose venu des Pays-Bas.

Alors, oui, au début ces vitrines dont il faut aller chercher le commentaire dans le petit livret distribué à l’entrée font naître un peu d’irritation : il fait sombre, on peut avoir les mains encombrées d’un manteau, d’un sac, bref, pas envie de jouer des lunettes et des lumières. Eh bien si ! on s’y met, on s’en délecte. Surtout qu’une exposition qui commence par un cube d’une tonne de thé compressé par le Chinois Ai Weiwei, ne peut pas devenir un pensum. Et une exposition qui se termine par un étal d’échantillons réjouit le visiteur dont presque tous les sens auront été flattés. Alors oui, avec les moines du 10ème siècle, on peut faire du thé une liturgie.

Les joueuses de polo. Chine classique. Photo: Marie.J

Digression à 2 euros : pour 2 euros de plus, on a accès aux collections permanentes et à «une déambulation méditative», intitulée «I went», imaginée par le musée Guimet avec le Centre national des arts plastiques ; un concept à l’intitulé un peu abscons mais qui se traduit par l’installation d’œuvres contemporaines disséminées au gré des salles japonaises et chinoises et de la rotonde-bibliothèque.

Il est saisissant de voir comment vidéos, sculptures, peintures, photos signées Xavier Veilhan, Rei Nato, Werner Bischof, Hans Hartung, Christian Bolstanski… s’intègrent à merveille dans cette population de moines et de divinités. Donc la déambulation – méditative ou non – vaut largement l’effort. D’autant qu’elle offre l’occasion toujours réjouissante de voir et revoir quelques pièces exceptionnelles des collections comme, au premier étage, le patibulaire roi-gardien Bismamon-ten, les éminemment gracieuses joueuses de polo (ci-dessus) de la Chine classique… et bien d’autres : une déambulation subjective et personnelle en somme.

En pratique : Musée des arts asiatiques Guimet/ «Le thé, histoires d’une boisson millénaire», jusqu’au 7 janvier 2013/ « I went », jusqu’au 28 janvier 2013

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3 réponses à Le thé n’est pas un camélia comme les autres

  1. Philippe Bonnet dit :

    Bigrement intéressant ce texte. Une bonne tasse de thé ordinaire à l’anglaise avec du lait et très peu de sucre, il y a plus raffiné mais pas aussi savoureux. PHB

  2. masson dit :

    Texte me donnant l’envie de remonter à la capitale avant janvier 2013 !… Merci

  3. de FOS dit :

    Passionnant ! J’en reprendrai volontiers une tasse…

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