Il est strictement interdit de modifier la réalité en la photographiant. Pas de flous, pas d’effets de perspective, jamais de prise de vue au soleil, pas de gros plans : les préceptes de l’école de Düsseldorf étaient dès le départ assez rigoureux. Ce n’est rien de dire que Andreas Gursky, l’homme qui est issu de cette école et qui vend ses grands tirages pas moins de trois millions de dollars pièce, s’est affranchi du dogme. Pour ceux qui ont en mémoire cette vue du Rhin simplissime, une rive verte, l’eau, une rive verte, vendue récemment plus de trois millions de dollars et qui s’interrogent, ils trouveront quelques explications techniques dans le DVD «Les grands courants de la photographie», édité par Arte et diffusé du 4 novembre au 2 décembre.
Cette série documentaire est très bien faite. Cette école de Düsseldorf avait au moins un objectif dont ont découlé des règles rigoureuses : immortaliser le paysage industriel allemand d’avant-guerre. Les auteurs de cette entreprise sont les « Becher » et Andreas Gursky sera leur élève. Mais quand il voudra photographier l’immensité relative d’une grande surface, le gigantisme lui aussi relatif de l’immeuble d’habitation qui ceint en partie la gare Montparnasse ou encore les vitraux de la cathédrale de Chartres, Andreas Gursky se voit obligé de truquer le tirage. Car il ne peut pas embrasser tout un immeuble sans le déformer et s’il arrive à aligner les vitraux de la cathédrale de Chartres, c’est qu’il a notamment fait sauter les colonnes qui gênaient son travail. Voilà pour «La nouvelle objectivité allemande», l’une des quatre séquences de ce documentaire.
Cette objectivité offre un vrai contraste avec le genre non moins intéressant de la photographie surréaliste ou la réalité n’est alors qu’une base de travail propre à conformer une réalité subjective tirée de cerveaux créatifs comme ceux de Man Ray, Breton ou Dora Maar et bien d’autres, dont Salvador Dali, qui apparaît brièvement pour dire en sous-titres que la photographie est «le véhicule le plus sûr de la poésie». Comment et pourquoi les surréalistes ont accueilli comme une fameuse trouvaille le débarquement en France du photomaton est ce que l’on découvre en début de chapitre. Tout au long de ces quatre fois vingt six minutes, le scénario de chaque séquence nous transporte sans ennui jusqu’au bout du propos.
Cette histoire des grands mouvements de la photographie comporte une astuce visuelle avec des règles verticales et horizontales (les mêmes que dans une peinture de Mondrian) qui apparaissent en surimpression de l’écran. Elles suggèrent et expliquent par les différents mouvements qu’on leur fait effectuer, les lois du cadrage, de la perspective et du truquage. Ce procédé soulage un peu les oreilles de la voix «off», vaguement hypnotique et un poil sentencieuse. C’est ainsi que le l’on découvrira le pixel, ce fameux petit carré qui a remplacé le grain «d’avant».
Le documentaire n’oublie pas dans l’affaire, les primitifs de la photographie. Les conditions acrobatiques des prises de vue au 19e siècle, ou battre des œufs en neige pour obtenir du papier albuminé sensible et du truquage là encore, mais à fin de restituer une réalité que les premiers objectifs ne savaient pas complètement capter, sont parmi les éléments pas loin d’être passionnants du moins pour les ignorants de ces procédés. On y voit une photo ratée de Baudelaire par Nadar, parce qu’un peu floue et mal centrée alors qu’au regard d’aujourd’hui on la dirait réussie. On comprend pourquoi Gustave le Gray superposait sur une vue de la mer un bout de ciel pris par ailleurs. L’objectivité y perdait ce que le charme y gagnait. Et nous voilà plus instruits, ce qui est le propre des documentaires honnêtes et non vainement objectifs.
Il ressemble étonnamment à Baudelaire, ce Hugo raté.
Ce lecteur a gravement raison, l’erreur est impardonnable. Nous l’avons corrigée grâce à lui. Il s’agissait bien de Baudelaire par Nadar. PHB