«Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour», réplique culte d’un film-monument, Arletty sur le Boulevard du crime. Je ne saurais prétendre pouvoir ici rendre un assez juste hommage au film de Marcel Carné, Les Enfants du Paradis. L’exposition qui lui est consacrée jusqu’au 27 janvier à la Cinémathèque s’y risque, avec beaucoup de réussite.
Elle nous fait vivre de l’intérieur, en trois dimensions, l’histoire d’un chef d’œuvre. Car c’est la façade reconstituée du Théâtre des Funambules qui accueille le visiteur. Au propre comme au figuré, nous voilà plongés dans l’aventure. Mais au-delà de l’histoire d’un film, l’exposition nous parle aussi de celles du cinéma et de Paris.
Grâce à une mise en scène remarquable et à des pièces qui tiennent de la relique (manuscrit original, costumes, correspondances personnelles, parmi d’autres), l’exposition nous convie ainsi à un voyage dans le temps. Un double voyage d’ailleurs, puisqu’à l’époque du tournage du film, l’Occupation (à partir de 1943), s’ajoute celle qui sert de décor aux Enfants du Paradis, le Paris des années 1830.
Il y a donc encore davantage de temps entre l’époque figurée et celle du tournage qu’entre cette dernière et aujourd’hui. Il faut absolument conserver cette perspective historique en tête. Des dessins évoquent l’ambiance régnant en ce milieu du 19e siècle sur le Boulevard du crime, celui des théâtres populaires, le peuple parisien se presse face à la parade des artistes des théâtres, le peuple gueule au paradis des théâtres, au poulailler donc.
Une autre salle est dédiée aux méandres du tournage, de Nice à Paris et à Joinville. Liaison d’Arletty avec un Colonel de l’Armée de l’Air allemande, fuite de la production italienne, travail clandestin du décorateur juif Alexandre Trauner, les Enfants du Paradis tutoient l’Enfer pour finalement triompher à la Libération comme un symbole de résistance.
Hommage à Paris, hommage au théâtre, histoire d’amour fou, Jacques Prévert qui signe scénario et dialogues nous sert un chef d’œuvre de poésie. Dans ce chassé-croisé d’aventures théâtrales et réelles, amoureuses et meurtrières, drôles et émouvantes, les répliques d’anthologie se succèdent. Sur une surface relativement réduite mais grâce à la diversité des supports, l’exposition nous laisse rêver. Baptiste nous tend la main.
S’il est bien aisé je dois le concéder de vénérer le film de Marcel Carné, adulé des cinéphiles depuis bientôt 70 ans (depuis la première au Palais de Chaillot le 2 mars 1945, à 19h00 précises prévient l’affiche), ces quelques lignes pourraient bien me coûter une réorientation de carrière. Je songe en effet à démissionner. Comment supporter plus longtemps un voisin de bureau, avec qui je dois qui plus est passer seul une bonne partie de la journée, qui me lance sans scrupules que les Enfants du paradis sont, je cite, « has been ». Je pourrais tout autant lui pardonner, car, à chacun sa croix, en termes de séries télés américaines des années 80, mon voisin est imbattable. A ma gauche, Magnum et Mac Gyver, à ma droite, Baptiste et Garance, le combat des « has been » est lancé.
Aller simple pour le Boulevard du crime
On est tous le « has been » de quelqu’un … Vive Garance et Baptiste !
Bien sûr que les Enfants du paradis, appartiennent à un genre de cinéma aujourd’hui disparu, un réalisme poétique avec des dialogues impossibles peut-être, littéraire certes, beau tout simplement.
Glané dans le DVD…
Baptiste (le mime) : J’ai eu une enfance difficile, quand j’étais malheureux je dormais, je rêvais, mais les gens n’aiment pas qu’on rêve, alors ils vous cognent dessus, histoire de vous réveiller…
Toujours Baptiste : j’aime votre rire,
Garance : moi aussi je l’aime, sans lui qu’est-ce que je deviendrais…
Lacenaire, le criminel, à Frederick Lemaitre, l’acteur : c’est un métier singulier que le votre, mais c’est bien étonnant cette faculté de faire battre un cœur… tous les soirs…à la même heure.
Frederick Lemaître : c’est justement cela qui est beau, qui est étourdissant, sentir, entendre son cœur et celui du public qui bat en même temps.
Garance à Lacenaire : vous avez la tête trop chaude pour moi, Pierre François, et le cœur trop froid, je crains les courants d’air.
Et puis le personnage du marchand d’habits ambulant Jéricho qui revient en leitmotiv en se présentant chaque fois différemment : trompe-la-mort, dit vend la mèche, dit mouton blanc, dit treize à table.
Merci à Bruno pour sa sélection des dialogues cultes.