Larry Gagosian saute de la galerie au hangar

Pour découvrir la toute nouvelle galerie Gagosian implantée au Bourget et inaugurée mi-octobre, il y a deux solutions. Soit descendre de l’un des jets privés qui se posent sur le plus vieux tarmacadam parisien et c’est bien cette population aisée qui est visée, soit prendre le bus 350 à la Porte de la Chapelle qui vous y transporte d’un coup de baguette magique.

D’habitude un bus cela n’avance pas. Et quand il avance c’est par hoquets exaspérants. Pas le 350. Il file jusqu’à sa cible, croisant à des allures inhabituelles devant le Stade de France, pour s’arrêter devant cet aérogare qui vit décoller ou atterrir tant de héros à bord d’aéronefs précaires, c’est ce qui s’appelle filer la métaphore.

Le piéton devra ensuite longer sur plus de 500 mètres l’avenue de l’Europe, jalonnée de grands hangars blancs et pavoisée d’oriflammes, destinés à guider le visiteur sur l’un des derniers bâtiments, racheté par ce marchand d’art notoire qu’est Larry Gagosian.

Une perspective de la galerie Larry Gagosian au Bourget. Photo: Les Soirées de Paris

Pour l’aménagement, Larry Gagosian a fait appel à l’architecte Jean Nouvel qui s’est appliqué à aménager les 1650 mètres carrés d’espace disponible sur deux niveaux. Le résultat est assez spectaculaire devant le choix, apparemment prémédité, de conserver beaucoup de place perdue. C’est un volume en soi, dont les dimensions choient le regard par l’abondance des perspectives. Sauf erreur et jusqu’au mois de janvier, il n’y a que 5 œuvres de Anselm Kiefer exposées, une « installation » et quatre peintures. Ce dénuement déconcerte et réjouit.

 

Si l’on est venu par le bus 350, il est inutile de s’intéresser au prix des œuvres présentes. L’acheteur typé qui se présente à l’étal d’un Gagosian « store » ignore sans doute ce qu’est un Pass Navigo dézoné. Le porteur de ce sésame peut en revanche considérer le travail de Anselm Kiefer l’esprit affranchi de toute considération spéculative.

La première chose que l’on découvre est l’œuvre intitulée Morgenthau Plan. Dans un texte, Anselm Kiefer explique que si l’on veut aller au-delà de « l’art pour l’art », il faut un « thème ». Il s’est donc inspiré d’un plan mis au point en 1944 par l’ancien secrétaire d’Etat au Trésor Henry Morgenthau, pour affaiblir durablement l’Allemagne en réduisant le pays à un vaste territoire agricole dépourvu de toute industrie. Nous voilà donc devant un véritable arpent rural du type monticule polymorphe évoquant un relief dunaire, couvrant quelques dizaines de mètres carrés et ceint d’une cage en acier de cinq mètres de haut.

« Morgentau Plan », détail. Anselm Kiefer. Photo: Les Soirées de Paris

Plus simplement, le résultat est une installation sablonneuse garnie d’épis de blé. Envisager d’acquérir une telle affaire implique une certaine surface résidentielle qui exclut d’emblée chaque passager du bus 350. La transporter et la réinstaller chez soi nécessitera aussi une logistique hors norme. De même qu’il faudra prévoir, si c’est le cas, de bien briefer son animal de compagnie afin qu’il ne confonde pas l’œuvre avec une zone d’aisance. Il est quand même permis de blaguer intérieurement pour un passager du bus 350, lequel n’a sans doute pas l’éducation artistique requise pour apprécier l’ensemble avec tout le sérieux requis et en dépit de la dimension esthétique indiscutable qui s’en dégage.

 

Et puis il y a ces quatre peintures, si grandes qu’elles sont logées deux par deux dans deux salles différentes. Kiefer y juxtapose des mottes de peinture dont il résulte un certain effet optique selon que l’on considère son travail de loin ou de près. Il y a là de quoi occuper de longues heures en attendant le départ du jet ou l’arrivée du chauffeur. C’est un travail remarquable qui s’impose et force la considération.

Détail d’une peinture d’Anselm Kiefer. Photo: Les Soirées de Paris

Une installation et quatre œuvres peintes plus tard et la visite est donc close. On pourra aussi, accessoirement, s’intéresser aux toilettes, merveille de design, volumineuses au point que l’on pourrait y entrer à plusieurs et qui ne sont pas sans évoquer un « ready made » signé Marcel Duchamp mais il est peu probable qu’un acheteur s’y intéresse, encore que.

Devant le bâtiment, des places de parking siglées Gagosian sont à la disposition des visiteurs visés mais rejoindre l’arrêt du 350 n’est pas une corvée tant la déambulation dans cet espace si généreux autant que désuet de l’aéroport du Bourget invite à la promenade.

 

Galerie Gagosian

800 avenue de l’Europe/93350 Le Bourget

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4 réponses à Larry Gagosian saute de la galerie au hangar

  1. Bruno Sillard dit :

    Très drôle, et si après ça, Larry Gagosian n’achète pas le bus 350, la ligne avec, et bien je ne comprendrais plus rien à l’art!

  2. de FOS dit :

    Un rien moqueur et réjouissant.

  3. FMaurel dit :

    Very pleasant !

  4. jmcedro dit :

    Un oui franc à l’usage du mot tarmacadam !

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