Je me rappelle de mes vacances avec ma sœur chez mes grands-parents. Il y avait un trou dans le plancher, pour que l’hiver monte la chaleur du poêle à charbon de la grande salle à manger. Salle à manger, salle à lire le journal, le Courrier de l’Ouest, salle pour servir le café au visiteur du matin, ou le verre de vin au visiteur de l’après-midi, salle pour regarder les nouvelles à la télévision déjà présente au tout début des années soixante. On y écossait les haricots, ficelait le poulet, épluchait les pommes de terre. On y astiquait les cuivres ou l’argenterie. On y parlait beaucoup aussi. Le matin, je régnais de mon lit sur un monde de livres, de dessins ou de rêves. J’écoutais les bruits qui passaient par le trou du plancher. Et puis, petit à petit le son des voix s’en allait pour laisser la place aux parfums de la cuisine.
Je ne manquerais pas un été sans tomates farcies servies avec des haricots blancs demi-secs. Ma grand-mère allait d’abord chercher un morceau de « pain de quatre » dont elle enlevait l’abondante mie pour l’émietter dans un grand saladier. Elle y mélangeait chair à saucisses, persil, ail, échalotes. Elle évidait chaque tomate et faisait réduire la chair à la poêle puis versait également ce coulis dans le saladier. Les tomates étaient farcies de ce mélange. Le grand plat ne rentrait pas dans le four de la cuisine, aussi ma grand-mère l’apportait-il au boulanger qui gardait un coin de son four aux cuissons des gens du quartier ! Le plat protégé par un grand torchon revenait quelques heures plus tard. Je sens encore ce parfum qui se répandait dans la pièce, passait par le trou du plafond et me poussait à me lever.
Le bonheur des terrines : il m’arrive, rarement, de retrouver les saveurs de ce pâté. En réalité c’était mon grand-père qui le préparait, assis sur une chaise, dans l’entrée de l’arrière cuisine. Il avait installé un hachoir à vis sans fin, vieille machine toute rouillée, sur le coin de la table, il montait ensuite une grille à gros trous, puis l’alimentait de morceau de porc en alternant le gras et le maigre. Des serpents de viande hachée sortaient en un bruit humide pour tomber dans un saladier. Mon grand-père mélangeait ensuite la viande avec des échalotes et du persil, sans oublier l’indispensable gniole. Puis il pétrissait le tout dans une terrine, qu’il recouvrait enfin d’une crépine. Une feuille de laurier terminait l’ensemble. La recette venait d’un oncle, chef de cuisine à l’Elysée avant guerre. Les terrines qui allaient cuire au four pendant deux heures au bain marie venaient aussi de l’Elysée, mais depuis Albert Lebrun il y a prescription. Bientôt, la cuisson allait remplir la maison des souvenirs parfumés de nos enfances ! Mais je savais qu’il n’y avait pas urgence à quitter mon lit, il fallait, hélas, attendre quelques jours encore, le temps que le pâté refroidisse et commence à rassir.
Avec le mois de septembre, revenait le temps de l’école, mais aussi celui de la chasse.
Je me rappelle de la douceur des plumes des faisans, perdrix ou cailles que mon grand-père jetait sur la table de la salle à manger. Des lièvres ou des lapins de garenne aussi que ma grand-mère sortait du papier journal dans lequel ils avaient été emballés pour ne pas tacher la voiture. Elle les descendait à la cave pour qu’ils rassissent…ou même faisandent. Tous les prétextes étaient bons à ma grand-mère pour qu’elle hausse le ton, par exemple en examinant un lièvre si elle découvrait qu’il avait reçu le plomb en plein râble ou un autre morceau noble. Accroché à un clou par les pattes de derrière, je me rappelle mon grand-père qui lui retirait la peau, puis le vidait. L’avant servait toujours à faire un civet avec du bon gros vin rouge, l’arrière revenait avec des petits oignons et du lard dans une grande sauteuse. Ma grand-mère coupait la tête du lapin, qui avait cuit dans le civet, dans le sens de la longueur et avec une petite cuiller elle mangeait la cervelle ou la donnait à ma sœur. Ca avait peut être des vertus mais je les ai oubliées.
Magie des souvenirs. Les amandes fraiches, transformées en deux coups de couteau en un petit lapin couché, la laitière qui sonnait tout les matins et dont le lait se couvrait d’une peau épaisse, le jambon blanc qui verdissait en quelques heures, la soupe obligatoire du soir ou le bonheur d’une framboise à l’eau-de-vie chipée dans un verre voisin…
Bruno Sillard, avec Fabienne Markewitz.
Je sors à peine de table et me voilà (re)mise en appétît ! Désormais, on ignore rien des petites madeleines de Sillard.
Le grand plat qui ne rentrait pas dans le four de la cuisine et devait aller se faire cuire ailleurs est un baeckeoffe (de bake cuire, off ailleurs). On trouve dans le commerce ces mégats récipients dans lequel on fait mijoter à couvert pendant des heures une alternance de morceaux de viandes (boeuf, agneau et porc), de rondelles d’oignons et de pommes de terre. Un délicieux plat « tout en un ». On aura au préalable pris soin de renforcer l’étanchéïté du couvercle par la mise en place d’un cordon de pâte feuilletée. Le procédé n’empêche en rien le plaisir olfactif de précéder celui des papilles gustatives.
… on ignore rien des petites madeleines de Sillard.
Ma grand-mère s’appelait Madelaine!
….sauf que Madelaine notre grand mere n’etait pas Sillard ! par contre grande cuisinière devant l’eternel ! …. je voudrais tant faire aussi bien !
Enfin j’essaye d’imiter …
enfin coté Sillard … la cuisine etait aussi bonne … et surtout copieuse …
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