Molière par ci, Molière par là, près de quatre siècles que ça dure, cette « langue de Molière », dès les bancs de l’école nous voilà assaillis. Inépuisable, le dramaturge fera encore parler de lui dans quatre siècles, quand même Amélie Nothomb et Eric-Emmanuel Schmitt seront tombés depuis belle lurette aux oubliettes de l’Histoire (imaginez un instant). Bon, après avoir enfoncé cette belle porte ouverte, retour à … Molière. On en redemande toujours, avec à l’affiche actuellement notamment au Théâtre de Paris avec Tartuffe et au Théâtre éphémère de la Comédie Française avec Dom Juan.
Force est de constater que l’auteur est bien plus à l’aise dans sa « maison » (pour démentir cette proposition on repensera avec émotion à la récente adaptation rock and roll des Précieuses ridicules au Lucernaire, mais parlons des sorties du moment.
Soit donc l’un des plus prestigieux théâtres privés parisiens dans une grande production, « Le Tartuffe ». En têtes d’affiche, Patrick Chesnais dans le rôle-titre, et Claude Brasseur en Orgon. Diantre ! Bonne nouvelle, Claude Brasseur en fait trop, il éructe, il gouaille, de quoi satisfaire un public conquis d’avance, et c’est justice. Son Orgon est tendre et naïf. Le comédien est aussi bon que dans Camping 2 (oups, là j’ai dérapé !). Mauvaise nouvelle, Patrick Chesnais s’est trompé de scène, il se traîne, il s’ennuie, il soupire. Il fait un parfait Jean-Pierre Bacri au mieux de sa forme, pas un Tartuffe.
Le reste de la distribution ne démérite pas, Chantal Neuwirth en Dorine étant aussi parfaitement énergique qu’Emilie Chesnais (la fille de) est malheureusement figée en Mariane (et cette voix suraiguë n’arrange rien). La mise en scène de Marion Bierry est douce, trop douce sans doute, les comédiens se noient minuscules dans un grand espace blanc. Il est intéressant de lire comment la metteur en scène se permet en avertissement du programme de la pièce de justifier « quelques coupes, et d’infimes modifications » dans le texte pour le rendre audible aujourd’hui sans le trahir. Parlant de son apport personnel, Mation Bierry avance : « je m’imagine que Molière, contemporain, ne les aurait pas acceptées, mais désirées ! ». Rien que ça.
La magie de l’écrit nous permet de descendre maintenant, depuis la rue Blanche, la rue de Richelieu, où nous saluerons Molière statufié, avant de subir les Colonnes de Buren du Palais-Royal près desquelles nous attend Dom Juan. Si la mise en scène et les décors de cette production de la Comédie Française ne nous ont pas bouleversé, l’interprétation emporte nos humbles suffrages (soutenue par les costumes). Loïc Corbery dans le rôle-titre campe un jeune Dom Juan fougueux, il rend très bien les détestables défauts de son personnage, qui se permet tout, de la séduction cynique sans lendemain au blasphème éhonté. Il fait tourner en bourrique son pourtant si fidèle valet Sganarelle. Ce dernier est porté avec une convaincante énergie par Serge Bagdassarian, tandis que Suliane Brahim en Elvire et Pierre Louis-Calixte notamment en Monsieur Dimanche sont épatants.
Là encore, c’est enfoncer une porte ouverte, mais le métier de ces comédiens force le respect. Reste que la teneur des toutes dernières secondes de la pièce ne pourra laisser indifférent.
Succombez au charme de Dom Juan , ou laissez-vous tartuffier.
Une pensée pour Molière qui gît dit-on dans les sous-sols de la rue du Croissant.
Le lecteur – Alors direz-vous et le tombeau du Père Lachaise ?
(Silence).
Le lecteur – Oui, au fait n’y aurait-il pas un tombeau de Molière au Père Lachaise ?
(Silence).
Le lecteur – Je me tais.
Un auditeur – Mais non, monsieur… Suzanne ne me parliez-vous pas du tombeau de Molière ?
Suanne – Euh oui ?
Un auditeur – Et de la Fontaine ?
Suzanne – Oui La Fontaine, qu’elle cruche je fais.
Le lecteur – Ils furent enterrés dans le quartier près de Halles puis déterrés, leurs ossements placés dans des cercueils, puis quittant une chapelle ils se retrouvèrent dans deux sarcophages. Quand le Père Lachaise fut inauguré, pour attirer les morts encore vivants et fortunés au cimetière, on y transféra des morts célèbres. Dont les deux sarcophages.
Suzanne – Voilà qui est bien.
Le lecteur – On a quelque peine à suivre leurs traces.
Suzanne – Voilà un problème monsieur. Ma grand-mère disait toujours: quand on ne range pas ses affaires…
Le lecteur – Certains disent que la Fontaine aurait fini dans les catacombes, que peut-être Molière serait dans le sarcophage de la Fontaine. Peut-être est-il rue du Croissant. Peut-être que dans les sarcophages de pierre du Père Lachaise, repose deux corps n’entendant rien à la prose ni aux vers.
Un auditeur – Aux vers peut-être un peu.
Suzanne – (rire) Il ne faut pas rire de ces choses là.
A vouloir remplir des salles avec des têtes d’affiche…on en vient à trahir Molière et à vider la salle (seul avantage une place de second balcon à 34 euros devient une place d’orchestre… à remplir !) Chesnais comme Brasseur étaient inaudibles, incapables d’articuler correctement, tout comme Elmire, la langue française n’étant pas sa langue maternelle…. Pauvre Poquelin, qui doit se retourner dans se tombe s’il entendait ses alexandrins si mal proclamés.
Et pourtant, tout avait bien commencé. Madame Pernelle, qui ouvre l’Acte 1, a, de son fauteuil roulant, une présence et une diction digne des plus grandes actrices du Français. Un vrai régal. La merveilleuse Dorine, a tenu, parfois seule, la pièce, toute empreinte de la finesse, de la gravité et de l’humour de Molière. Parmi, les seconds rôles, Valère et Damis ont tiré leur épingle du jeu, tandis que Cléante pâtissait de sa voix aiguë….