Le double sens est à la mode. Sur les grands boulevards, les travaux vont bon train pour permettre bientôt aux autos de foncer vers le levant, animant ce grand axe où se pavanent depuis des lustres les comédies théâtrales populaires. Mais voilà que cette transformation fait figure d’évolution en douceur voire anodine depuis que se joue à la Comédie des Champs Elysées « Que faire de Mr.Sloane ? ». Avenue Montaigne, donc, fort loin de l’agitation du Boulevard du Crime.
C’est peu dire que la pièce maltraite le boulevard, elle en saisit les codes en apparence pour mieux s’en détacher. On rit du divertissement, mais on rit jaune, avec scrupules. Le texte tout d’abord joue à merveille de ce double sens. Voilà une « farce noire » aux yeux du metteur en scène Michel Fau (ça y est, le nom est lâché, nous y reviendrons), écrite en 1964 par Joe Orton, dramaturge anglais assassiné à 34 ans par son amant à qui il avait dédié cette pièce.
Soit quatre personnages pris dans la toile d’araignée d’un peu recommandable pavillon de banlieue londonienne jouxtant une décharge. Autour du jeune Mr.Sloane, la sœur, le frère et le père vont rivaliser de délires avec un « humour noir décapant » selon le metteur en scène. Le décor participe du bazar ambiant, avec ce salon fait de fausses perspectives, jusqu’à l’irruption tellement ridicule (volontairement ?) d’un bout de décharge par la fenêtre. Tout y est parfaitement kitch britannique des années 60.
Mais la pièce tient debout peut-être avant tout grâce à ses interprètes qui hantent la scène de leur folie. Jean-Claude Jay ne démérite pas en papy acariâtre, et Gaspard Ulliel rend très justement un Mr.Sloane psychopathe en retenue, qui ne sait choisir son camp entre bourreau et victime. Charlotte de Turckheim est parfaite en « lolita d’un certain âge », prolétaire qui se rêve bourgeoise. Elle en fait trop et c’est justement ce qu’exige le rôle. C’est exactement sans doute ce que vient chercher le public de l’Avenue Montaigne. Michel Fau, enfin, campe un parvenu pervers. Un comédien génial, aussi à l’aise ici que lorsqu’il surgissait nu sur le plateau du Soulier de Satin à l’Odéon, sous la direction d’Olivier Py. « C’est ce que vous ne trouverez pas amusant qui est le plus drôle » nous prévenait-il alors. Avec Paul Claudel comme avec Joe Orton, Fau, c’est fou.
Voilà qui donne envie de se faire interner avenue Montaigne, la camisole est-elle de rigueur ?
Une petite note, le boulevard du crime ne passait pas par les Grands boulevards mais de l’autre côté de la République vers le canal. Un des derniers théâtres qui subsiste de cette époque est le Cirque d’hiver.
Oh Bruno merci pour cette précision, j’avais présenté entre parenthèses mes excuses après des puristes pour cette honteuse approximation avant de m’en passer. Me voilà bon pour la cage aux lions de la rue Amelot.
On peut regretter la Charlotte qui jouait dans « Chouans! » En tout cas ce texte donne envie de la revoir.