L’avantage lorsque l’on n’a jamais lu Christine Angot, c’est que l’on part sans a priori. Ou presque. Car il était impossible ces derniers temps d’échapper aux flopées d’éloges, de ceux que les éditeurs se servent pour tapisser leurs placards publicitaires dans les pages des journaux. Avec du « magistral », du « époustouflant » et autres qualificatifs à toutes les lignes laissant entendre que l’on se trouve devant un monument culturel qui écrase toutes les tentatives précédentes. Sans compter quelques piques ici et là de chroniqueurs qui s’avouent saturés dès les premières lignes d’« Une semaine de vacances ».
Comment dire, la narratrice nous colle brutalement, dès la première page, entre les jambes de son père, qui réclame urgemment une fellation. Tous ceux (semble-t-il beaucoup de monde) qui ont lu Angot connaissent le scandaleux problème. Mais pour celui qui débarque, encore une fois, il ne s’agit de prime abord que d’une scène érotique détaillée seconde par seconde, millimètre par millimètre. Le malaise ne vient que quelques pages plus tard, lorsque l’on comprend que l’homme et « papa » ne font qu’un.
Voilà exactement ce que c’est. Voilà exactement ce que c’est, un inceste consommé, nous dit l’auteur qui ne ménage à ses lecteurs pratiquement aucun temps de pause. Voilà ce que c’est qu’une assez jeune fille contrainte de faire ça et ça, comme si elle n’était qu’un objet à plaisir, corvéable à merci de jour comme de nuit. Nous sommes donc obligés d’assister au malaxage indécent de la chair d’une jeune fille par son père. Elle est un pantin soumis qui pleure parfois. Elle est aussi celle qui va se rincer la bouche du sperme résiduel dans le lavabo.
La méthode fonctionne mais la nausée, qui fait partie des effets secondaires, amène à suspendre temporairement le traitement. C’est un livre bien écrit, écrivons-le, mais disons que chaque quart d’heure, pour paraphraser la sécurité routière, la pause s’impose. Les mots font mouche, on visualise bien les scènes. Christine Angot écrit pour se faire comprendre.
Dans ce livre il y a quelques passages « sans ». Ils sont trop rares répétons-le. Car le lien de sujétion criminel établi par le père envers sa fille est aussi le résultat d’un travail d’emprise psychologique qui aurait peut-être mérité d’être approfondi. C’est au lecteur de faire le boulot.
Ici l’intelligence du père est au service de ses pulsions, de sa perversion. Il y est un bourreau, elle est une victime. Encore une fois, Christine Angot ne s’embarrasse pas à essayer de se faire entendre par l’analyse. La narratrice est comme un petit hamster que l’on dissèque vivant, le ventre ouvert, fixé par quatre aiguilles sur une tablette en bois. Et nous voilà le nez dessus, impuissants, car elle nous a pris au piège de son style finalement impeccable d’efficacité.
C’est la meilleure critique que j’ai lue de ce livre que je n’ai pas lu et ne lirai pas !
Bien écrire suffit-il pour donner envie de lire ce livre ? Merci en tout cas pour ce commentaire délicat qui dispense d’une lecture voyeuse puisque davantage narrative qu’explicative.
Pourquoi lire sans plaisir, vraie question
Sur ce thème difficile on peut signaler la prestation extraordinaire d’Alain Bashung dans le film « L’ombre d’un doute » (1993) et l’on peut aussi penser dans un genre plus délicat à la chanson « Un zeste de citron » par Gainsbourg. PHB