Le soldat : J’ai été soldat, sous le règne d’Alexandre, Centurion sous l’empereur Aurélien, il avait créé un Dieu pour nous : le soleil. Et une date pour l’honorer : le 25 décembre. Le 25 tu te rends compte… Je suis mort à la bataille des Champs Catalauniques, une des plus meurtrières de l’histoire et je ne sais plus qui j’étais, Hun ou Romain ? J’ai égorgé un bébé dans les rues sombres de Paris, la nuit de la Saint Barthélémy. Je revois les drapeaux tricolores flambants neufs flottant sur le plateau de Valmy. Né Anglais et mort Américain à Princeton. Je me suis battu par idéal à Gettysburg pendant la guerre de sécession. Un Cheyenne m’a tué au côté du général Custer à Little Big Horn… Zouave perdu sur le chemin des dames, Chinois, massacré à Nankin, Soviétique survivant des ruines de Stalingrad…
Le cinéphile : Excuse-moi, où se trouve le bouton marche-arrêt ?
Le soldat : J’ai bourlingué de mort en mort. Les miennes de mort, tu comprends ? Et là, tu me coupes en plein XXème siècle, le siècle de toutes les guerres !
Le cinéphile : Je t’écoute. Dehors, il fait beau. Je me demande si les armées sont toujours indispensables pour faire la guerre. Je m’interroge aussi pourquoi les Américains sont tant boulimiques de leur propre passé, peut-être est-ce qu’il est encore récent. Pour eux, le cinéma est devenu un formidable moyen d’imaginer leur passé… Et l’Histoire s’écrit aussi de guerre en guerre, ainsi va la société des hommes. J’ai vu un DVD, Hollywood Pentagone, on y trouve deux documentaires. Le premier, Opération Hollywood d’Emilio Pacull revient sur les liens tissés entre l’industrie cinématographique américaine et l’armée. Des liens qui ne se sont pas distendus, une fois la relative paix revenue. La plupart des scripts des films de guerre sont passés par la censure du Pentagone. Côté guerre mondiale, les sujets ne manquaient pas, des sables d’Okinawa aux grottes d’Iwo Jima, des plages de Normandie aux neiges des Ardennes, d’Anzio à Midway. A la clef des économies de production considérables, si l’armée fournissait figurants et matériels.
Le soldat : Mais, ce n’était pas de la censure, les studios étaient libres de produire le film qu’ils voulaient.
Le cinéphile : Apocalypse Now fut refusé d’emblée, parce qu’il était inconcevable qu’un ordre puisse être donné à un officier de l’armée américaine d’exécuter un autre officier. Plus récemment, dans le film Les Messagers du vent de John Woo, il était écrit une scène où un GI arrachait les dents en or de la bouche de soldats japonais mort. Ce fut un veto non négociable. Le « dentiste » disparut du film.
Le soldat : L’honneur de l’armée…
Le cinéphile : Jusqu’au tout début des années 60 tout allait bien. Il y eut la guerre de Corée et puis la guerre froide. La rupture fut consommée avec le Vietnam. A force de voir des films tout à sa gloire, le Pentagone a même été jusqu’à offrir aux journalistes de partager son terrain de jeu, mais voilà personne n’avait plus envie de jouer. Le seul film qu’Hollywood produisit alors fut Les bérets verts de John Wayne, tourné avec le soutien total de l’armée américaine.
Le soldat : Le dernier film où le soldat sentait encore bon l’after shave.
Le cinéphile : Après la fin de la guerre du Vietnam, le cinéma rattrapa son retard, avec Voyage au bout de l’enfer de Mickael Cimino, Platoon d’Oliver Stone, Apocalypse Now de Francis Ford Coppola, ou Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, et tant pis si aucun de ces films n’a reçu l’assentiment de l’armée. Hollywood était devenu parano, Sept jours en mai de John Frankenheimer ou Les trois jours du condor de Sidney Pollack. Richard Nixon écrivait son Watergate, et avec Little Big Man d’Arthur Penn même le western changeait de camp en renvoyant le général Custer à son enfer.
Le soldat : Il raconte tout ça ton documentaire sur Hollywood ?
Le cinéphile : Non bien sûr. Enfin en partie. Top Gun de Tony Scott offrit une occasion en or au Pentagone, Une histoire de guerre propre, ludique, qui allait tout droit ouvrir les portes aux frappes façon jeux vidéo de la guerre en Irak.
Le soldat : Mais le soldat qui s’est engagé avec tout le dynamisme que lui avait donné son joystick derrière son ordinateur, a très rapidement déchanté.
Le cinéphile : Le cinéma poursuit vaille que vaille son éternelle réécriture de l’Histoire du pays. Mais je pense à une chose, Hiroshima n’a jamais été racontée par Hollywood. Et Dresde rasée une nuit par des bombes au phosphore?
Le soldat : Je ne sais pas.
Le cinéphile : Il y a bien eu Le grand secret de Melvin Frank, il est passé récemment sur Ciné Classic. Mais le film s’arrête sur le nuage atomique… La bombe est restée propre. Au fait t’es toujours vivant ?
Le soldat : J’ai dû mourir une fois ou deux au Vietnam et en Afghanistan. Putain de pays, l’armée n’a jamais contrôlé que 45% du territoire afghan et encore si l’on compte les sorties hors des fortins qui veillent sur ce désert des Tartares.
Le cinéphile : Le cinéma a de nouveau du grain à moudre. Dans la Chute du Faucon noir l’armée essaye de récupérer les corps de deux équipages d’hélicoptères tandis que dans un autre film de Tony Scott un agent de la CIA traque l’un des leaders d’Al-Qaïda : le titre du film, Mensonges d’Etat. Il dit tout, ce n’est plus la grosse confiance entre Hollywood et le Pentagone. Quelques films ont été tournés sur la vie quotidienne des soldats en Irak, je pense à Démineurs de Kathryn Bigelow par exemple.
Le soldat : Depuis la seconde guerre mondiale, un sujet est rarement abordé : quand le soldat part en vrille.
Le cinéphile : John Huston a ramené de l’après guerre Que la lumière soit, un documentaire sur un hôpital psychiatrique de l’armée. C’est le second film du DVD. Il fut interdit jusqu’en 1981. La raison officielle donnée fut le respect du droit à la confidentialité des malades. John Huston l’explique par la volonté des Etats-Unis de ne montrer que des soldats valides bien dans leurs bottes. Il reste un film curieux où on se dit que si rien n’est joué, tout est mis en scène jusqu’à l’éclairage qui joue sur les ombres du visage. Filmé en champ-contrechamp, tout laisse penser que les entretiens entre les soldats et le psy ont eu lieu en présence de pas mal de monde.
Un film curieux aussi, par sa logique sans surprise : Huston s’attache à un type complètement paralysé, à un autre bégayant tellement qu’il ne peut plus s’exprimer, à un amnésique, à un autre aussi, secoué par des spasmes. Après un entretien, le toubib lui injecte une drogue ou l’hypnotise, et là, miracle, le soldat redevient normal et au bout de six à huit semaines, il repart dans le civil, bon pied bon œil. Bon, je préfère Bogart dans African Queen quand il n’en finit pas d’écluser son whisky.
Le soldat : Tu sais, je vais te dire pourquoi le film a été censuré, Parce que ton hôpital aurait été pris d’assaut par des dizaines ou des centaines de milliers de soldats. Que ce soit en 1946, 1968 ou 2012, que ce soit du Pacifique, du Vietnam, d’Irak ou d’Afghanistan, les soldats reviennent toujours comme des loques, le taux de suicides grimpe au rythme des guerres, les actes criminels se multiplient… Même moi, je me suis rendu compte que de retour d’Afghanistan, j’avais tendance à mettre la musique à fond dans ma voiture et à rouler comme un malade. Et puis il y a eu…
L’infirmière : Messieurs ça va être l’heure, c’est la fin des visites.
Hollywood Pentagon
DVD/Opération Hollywood
d’Emilio Pacull et Maurice Ronai
Que la lumière soit /de John Huston
Johnny Got His Gun, de Dalton Trumbo, et Pour qui sonne le glas avec Cooper/Bergman sont deux films « de guerre » qui me viennent à l’esprit, parmi ceux qui m’ont marqué…
Dalton Trumbo qui a fait parti des « dix » mis au ban d’Hollywood sous le mccarthyism , il travailla sous des pseudos ensuite. Il revint dans les années 70, et signa ce magnifique « Johnny s’en va en guerre » . en 1917, un soldat sans corps que l’on maintient en vie alors qu’on le croit en coma, il va réussir à communiquer avec une infirmière…
Les « meurines » de Full metal jacket