Du rêve et de la dynamite, c’était Paulilles

La réhabilitation réussie du site industriel de Paulilles, le doit beaucoup à la collecte des témoignages des anciens ouvriers. Il y a cette photographie de jeune femme en bikini sur un rocher et qui bien longtemps après la fermeture de l’usine, au vu du cliché, dit : «Je sens que c’était quand même des moments de bonheur. Nous étions jeunes, amoureuses et insouciantes. A midi on se dépêchait de manger et on allait à la plage. C’était notre plage». Bienvenue à l’ancienne fabrique de dynamite de Paulilles, dans les Pyrénées orientales.

Oui, le coup de génie du Conservatoire du Littoral qui a racheté le site en 1998 et depuis grâce au département qui en assure la gestion, c’est d’avoir mis en valeur plusieurs générations d’ouvriers qui ont travaillé là depuis la fin du 19e siècle jusqu’à 1984. Sur ce site ils ont fabriqué la dynamite qui a servi au creusement du Canal de Panama jusqu’à la base spatiale de Kourou en Guyane et en passant par le percement du tunnel du Mont-Blanc et Mururoa.

Vue partielle du site de Paulilles. Photo: Les Soirées de Paris

Et partout on les voit sur des photos, sur des agrandissements qui tapissent des murs entiers ou des panneaux illustratifs à l’intérieur de ce qui fut la maison du directeur. Ce qui domine, c’est leurs sourires. «Paulilles c’était vraiment le Pérou, raconte l’un d’entre eux, on était logé, chauffé, éclairé (…) et en plus il n’y avait qu’à lever le doigt pour obtenir ce que nous voulions (…) alors oui Paulilles, c’était un petit coin de rêve. Alors qu’il me soit permis ci de remercier la société Nobel de nous avoir fait profiter de tout ce bonheur».

Ces témoignages laissent songeurs. D’autant que fabriquer de la dynamite ou composer de la nitroglycérine reste une activité à hauts risques. Les accidents mortels dus aux explosions involontaires se multiplieront à Paulilles, faisant plusieurs dizaines de morts tout en remplissant les colonnes  de la presse locale.

D’autant que l’activité était par ailleurs chimiquement euphorisante et pouvait entraîner des maladies graves. Ce qui n’a été reconnu que bien plus tard. Les fabricants de poudres et explosifs, plus généralement, ont connu ça. Les produits utilisés dilataient les vaisseaux. Le week-end, il n’était pas rare (rien n’indique que c’était le cas à Paulilles) que les ouvriers revinssent sur le site humer les effluves vasodilatatrices car ils se sentaient mal une fois revenus chez eux. Le bonheur est toujours un peu toxique, c’est bien connu.

Les bâtons de dynamite estampillés "Nobel" (qui inventa cet explosif) tels que l'on peut encore les découvrir à Paulilles. Photo: Les Soirées de Paris

Au fil des années, le besoin en dynamite s’est raréfié et le site de Paulilles a fini par fermer en 1984. «C’était devenu une vaste friche», rappelle un ancien dirigeant du Conservatoire du Littoral. Les 32 hectares, considérés comme dangereux, n’étaient fréquentés que par des promeneurs un peu aventureux et des marginaux.

En France on a cette chance d’avoir depuis 1975 une administration qui se préoccupe de sa façade maritime, qui rachète et préserve petit bout par petit bout son littoral côtier et lacustre. L’espace réhabilité s’étend désormais sur 17 hectares avec une plage tout au bout. Il y a un vaste plan à l’entrée qui permet de repérer l’ancienne maison du directeur (qui fait aujourd’hui office de musée) et les anciens bâtiments où l’on fabriquait la dynamite. Les jardins à l’aspect colonial et l’ensemble des bâtiments ne manquent pas d’allure. Mais l’on est surtout saisi voire ému en raison de cette présence justement restituée par les nombreuses photographies et témoignages des gens qui ont travaillé là. Il est rare de se dire que l’on reviendra quelque part à la prochaine occasion. C’est ainsi que Paulilles surprend celui qui s’y rend.

Le site est accessible toute l’année, en voiture ou par le sentier du littoral. Pour les horaires et les jours d’ouverture de la « Maison du site » en revanche, ils sont disponibles sur la page Web du Conseil général des Pyrénées Orientales.

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5 réponses à Du rêve et de la dynamite, c’était Paulilles

  1. jmcedro dit :

    Je ne sais pourquoi cette histoire d’ouvriers et d’ouvrières oeuvrant sur un site « euphorisant » et « vasodilatateur » m’a fait immédiatement évoqué Les Javanais de Jean Malaquais… (Pour les heureux qui ne l’ont pas encore lu et vont s’y jeter, un roman d’avant-guerre écrit dans une langue aussi stépéfiante que celle de Céline).

  2. Pascal Aubert dit :

    Merci pour ce reportage original qu’on ne peut lire ailleurs que sur le site des Soirées de Paris. Par association d’idées, je repense au « Salaire de la peur », film multi-récompensé du regretté H.G. Clouzot (sans lien de parenté connu avec l’inspecteur presque homonyme…), où Yves Montand, Charles Vanel et Folco Lulli n’avaient visiblement pas été informés des vertus vasodilatatrices de la nitroglycérine…

  3. Bruno Sillard dit :

    Incroyable cette histoire de nitro euphorisante… cette histoire de manque aussi . Enfin grâce à ça , Obama a eu le prix Nobel, génial !
    C’est toute une mémoire industrielle laissée en friche, comme celle des femmes qui fabriquaient à domicile des allumettes et qui mourraient dans d’atroces souffrance, leurs os littéralement rongés. Plus récemment les matins d’hiver dans une usine d’embouteillage de gaz, butane ou propane, le souvenir d’un brouillard épais qui enveloppait mes jambes jusqu’à mi-mollets.

  4. de FOS dit :

    Mieux vaut penser (Pascal) à la fiction cinématographique qu’à AZF…

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