Penchés une carte de géographie, calendrier en main, nous naviguions (déjà) sur les sites Internet à la recherche des moyens de transport envisageables pour gagner au plus vite Astorga (Espagne). Il s’agissait d’achever notre périple vers le tombeau supposé de Saint-Jacques, à Santiago de Compostela.
Quel judicieux moyen d’acheminement retenir ? L’avion ? C’est rapide mais je ne suis pas très fan… Le train ? Compliqué en raison du différentiel d’écartement des voies ferrées de part et d’autre des Pyrénées. La route ? Long, fatigant et faussement bon marché une fois pris en compte les frais d’hôtellerie, restauration… Le train-auto ? Malcommode voire inexistant… Quoi donc alors ? L’hélicoptère, la montgolfière, la fusée, la télépathie ? Entre délire et éclats de rire, l’un d’entre nous eut soudain cette lumineuse idée (merci à l’étoile de l’ermite qui en 800 découvrit la dépouille de l’apôtre !) : Et si nous empruntions l’autoroute de la mer ?
Il est en effet un ferry océanique qui depuis fin 2011, relie Plymouth à GijÓn via le port de Saint-Nazaire : « l’Autopista del mar ». C’était la formule qu’il nous fallait, GijÓn étant à l’aplomb nord d’Astorga. Le paradoxe était plaisant de prendre les flots pour fouler au pied les cailloux, de voguer d’abord pour cheminer ensuite, de passer de marin à terrien dans un sens, qui plus est, réversible.
Traverser le Golfe de Gascogne nuitamment pour arriver frais et dispos le lendemain matin à bon port (espagnol), fut notre programme pour affronter le vent et la poussière du « Camino ». Va donc pour réserver un aller-retour (2 000 km) St-Nazaire/ GijÓn à bord du Norman Asturias. Nous optons pour une cabine couchette plutôt qu’un siège incliné en salle commune. Nous connaîtrons suffisamment la promiscuité des usines à pèlerins par la suite… Et puis un peu de confort ne nuit pas à la préparation de l’effort, après il tient même lieu de réconfort. Tant pis si pareille facilité apparaît contraire à «l’esprit du Chemin» dont on nous rebat les oreilles au long du Camino. Après tout, la dépouille du « Majeur » est bien venue en Ibérie par la mer… La coquille qui guide les pèlerins ne ruisselle-t-elle pas de l’iode qui baigne les côtes de Fisterra, le Finistère espagnol ?
« Emprunter » aux camions l’autoroute de la mer est le terme qui convient. Le petit transbordeur qui traverse le golfe gascon est avant tout conçu pour les poids lourds, moins pour les voitures, encore moins pour les pèlerins qui d’ailleurs le connaissent peu. Embarquant à l’escale de Saint-Nazaire, nous avons perçu notre statut de « fond de cale » juste bon à amortir les frais financiers de la liaison. Les bahuts d’abord, les voitures ensuite et, quand il reste de la place, les piétons à la rigueur. Rigueur, un terme qui enfin relève du vocabulaire du pèlerin ! Même constat pour la restauration à bord, où s’y trouve facturé le moindre sachet de thé, carré de beurre ou quignon de pain… Mais la frugalité fait aussi partie du voyage – pardon du pèlerinage. La traversée n’est pas une croisière avec petits fours frais. Ascète, le pèlerin se fait écolo en acceptant la primauté des poids lourds pour épargner aux routes la circulation de lignards desservant la péninsule ibérique… Il n’empêche, à voir ces quarante tonnes lourdement lestés – parfois de matières dangereuses ! – franchir la passerelle d’un bâtiment de taille modeste et d’apparence frêle, l’estomac se serre… et c’est tant mieux pour les compagnons de navigation.
Pas plus que les panonceaux signalant au cul des camions le risque d’incendie, de corrosion, d’explosion, que sais-je encore, de leur chargement, la signalétique à l’intérieur du caboteur n’est faite pour rassurer : sangles obligatoires pour immobiliser les bahuts (parce qu’en plus ils peuvent bouger), sacs à vomissures à tous les niveaux de ponts, mises en garde répétées contre les glissades intempestives dues à l’effet cumulé du roulis et des embruns… Jouerait-on à nous faire peur ? Pour les plus imaginatifs, effet garanti. Tout d’un coup, me revient à l’esprit l’alarmant constat d’un ami : «Dans le Golfe de Gascogne, ça cogne !». L’eau est mon élément, alors même pas peur avec un « force 8 » en Méditerranée ! Mais c’est une mer fermée, me susurre ma machine à broyer du noir. Qu’en est-il d’un océan où les fonds frôlent à cet endroit les cinq mille mètres, où les vagues peuvent atteindre jusqu’à huit mètres de haut ? Sois sage ô mon imagination… Ressaisis-toi me dis-je, me traitant de poule déjà mouillée…
A l’aller comme au retour, le coucher de soleil fut paradisiaque et la nuit à bord des plus calmes. Presque trop… Etendue sur ma couchette, à peine troublée à l’idée de voguer au-dessus d’abysses avec des « gros culs » dormant à l’étage en dessous, j’en vins à regretter la « vraie » houle. Celle qui soulève à n’en pas finir des millions de tonnes de mètres cubes d’eau avant de s’abaisser enfin, celle qui impose à la respiration d’adopter le même rythme.
Pour l’anecdote, j’avais emporté pour ma nuit en cabine un vieux tee-shirt faisant l’éloge du camion. Le fait est qu’en m’accompagnant sur l’océan, il m’a permis d’achever mon pèlerinage. Et c’est avec plein de belles images derrière les paupières, submergée par une vague d’émotion, que j’entonnerai bientôt la célèbre comptine enfantine….
Sûr qu’il ne faut pas s’encombrer d’histoire genre le Titanic, se dire que le « Costa Concordia » est quand même moins pire que l’Airbus Rio Paris, éviter les jeux genre : quand est mort Albert Londres (dans l’incendie de bateau revenant de Chine). Se dire que l’on est entre les mains de marin chevronnés, bref de la trempe d’un Tabarly, euh non, d’un Alain Colas, euh non pas celui là non plus. Et regarder en boucle « Le crabe tambour » de Pierre Schœndœrffer.
Ma traversée manquait un peu de piment (pas de sel), alors je l’ai épicée…
La prochaine fois, merci du conseil, j’embarquerai avec Olivier de Kersauson. Et, pourquoi pas, dDirection la Polynésie !