En octobre 1917, dans les «Cahiers idéalistes français», le poète Pierre-Jean Jouve publie «Danse des Morts». Excepté le titre, la page est blanche. Seule une ligne, en tout petits caractères, indique : «Entièrement interdit par la censure». Paradoxalement, le document pourrait servir de clé à l’extraordinaire effervescence que va connaître l’art en 1917, thème de l’exposition actuellement proposée au centre Pompidou de Metz. Puisque toute représentation de la mort est interdite, puisque toute mise en cause de l’utilité ou du résultat du conflit est sévèrement réprimée, c’est dans les arts que la liberté la plus totale va s’exprimer. L’exposition met en pleine lumière ce foisonnement international qui bouscule les conventions et bouleverse les idéaux, tandis que la folie meurtrière continue ses basses oeuvres (et encore : avec «seulement » 150.000 morts, 1917 sera l’année la moins meurtrière de toute la guerre…).
Si tout s’écroule, tout devient alors permis. Tout peut être ré-inventé. L’art explose comme les fusées au dessus des tranchées. Le cubisme avait déjà déstructuré les formes comme les bombes ont déchiqueté les corps. Dada, né un an plus tôt à Zurich, connaît son plein essor et publie sa première revue, tout comme le radical 391 de Picabia qui voit le jour à Barcelone, ou, à Paris, la revue avant-gardiste SIC (Sons Idées Couleurs) du visionnaire Pierre Albert Birot.
A New York, Marcel Duchamp expose un urinoir du commerce : ce sera la fameuse Fountain.L’oeuvre mythique est présentée, à Metz, à côté de la sculpture phallique de Brancusi, Princesse X, autre production iconoclaste née pendant la guerre.
Pour le ballet Parade de Cocteau et Satie, créé le 18 mars au Châtelet par les ballets russes, Apollinaire invente le mot sur-réalisme, qu’il reprendra quelques semaines plus tard pour ses Mamelles de Tirésias. Les deux pièces sont accueillies avec un scepticisme compréhensible. Pour Parade, Picasso avait réalisé un gigantesque rideau de scène. Ce rideau constitue la pièce maîtresse de l’exposition de Metz (où il se pourrait qu’il reste en dépôt). Un chef-d’oeuvre ? Guernica reste à venir…
Une seule visite ne permettra sans doute pas d’épuiser le sujet. Très dense et très complète, l’exposition, passionnante d’un bout à l’autre, vise à l’exhaustivité, historique autant qu’artistique. S’il n’y manque à peu près rien, il serait à peu près idiot de la manquer.
Centre Pompidou, Metz, parvis des Droits de l’Homme.
Jusqu’au 24 septembre 2012, 11h-18h (20 h le samedi) sauf le mardi.