«Ici, il est interdit de parler de la crise». A la devanture d’un restaurant madrilène, cet appel à la résistance festive pourrait sembler dérisoire si tous les restaurants, celui-ci comme les autres, n’affichaient pas ostensiblement une effervescence roborative. La crise est ailleurs et s’observe dans les innombrables panneaux «à vendre » qui s’agrippent en grappe aux balustrades et fenêtres. Peut-être aussi est-elle dans les musées et les expositions où nous déambulons heureux de notre tranquillité mais un peu déçus que le plaisir des œuvres soit si peu partagé (ou alors bruyamment quand déferle une horde de touristes …).
Madrid accueille, depuis le 6 juin et jusqu’au 22 juillet, son 15ème festival international de la photographie et des arts visuels, PhotoEspana www.phe.es soit 16 expositions dans la section officielle et un total de 72 que le catalogue répartit dans des catégories aux limites plus ou moins intelligibles pour le néophyte : «Openphoto», «Autres Salles», «Festival off».
N’en voir qu’un échantillon -faute de temps- donne une idée de la ténacité des organisateurs et promoteurs de l’événement (leurs avant-propos au catalogue sont parsemés des «adverse circumstances» et autres «storm of doubts» et «present constraints » face auxquels ils ont refusé de renoncer). Ils n’ont même pas cherché à en tirer profit : l’immense majorité des expositions est gratuite, accueillies classiquement dans des galeries ou dans des institutions culturelles tenues par des mécènes, tenaces eux aussi puisque la crise ne les a pas découragés.
Quelques mentions spéciales :
A l’incroyable bâtiment Art nouveau du «Circulo de bellas artes» qui accueille 5 expositions d’une richesse éblouissante dont «Aqui estamos», des portraits bouleversants de Paz Erràzuriz (ses lutteurs et ses forains difformes sont plus que vivants), Richard Avedon (le visage chiffonné d’Ezra Pound et la tristesse aux 2 visages du duc et de la duchesse de Windsor nous poursuivent encore), Richard Billingham et Lilla Sràsz ; ou aussi «La maleta mexicana», soit l’inattendue résurrection des négatifs (1936-1939) de Robert Capa et David Seymour ;
A la fraîcheur du jardin royal botanique qui héberge la talentueuse et poétique photographie espagnole ;
Aux entrailles de la plaza de Colon où se sont réfugiés quelques superbes clichés de la jeune garde asiatique qui fait oublier la banalité d’un autre accrochage consacré aux coulisses de la Factory warholienne laquelle se regarde avec la distance et l’ennui que l’on accorderait à des photos de vacances de ses voisins de palier.
Pendant que Madrid tente de rassurer ses banques et de calmer ses indignados, pendant que Moody’s, S&P et Fitch mégotent leurs nombres de A, de B qui mesurent la confiance des marchés, il est donc des balades dans le monde de la photo qui donnent aux boulevards et ruelles madrilènes un parfum de générosité que l’on hume goulûment.
PS : à ceux qui auraient le bonheur de profiter prochainement de Madrid, un rappel toujours utile : le Musée de la Reina Sofia abrite des salles emplies de Picasso, de Miro, Tapiès, Saura, etc. et quasiment vides de visiteurs. Plaisir en concentré.