Albert Dupontel a dit à propos du film «Le Grand Soir» que dans les scènes de mendicité, les vrais passants ne reconnaissaient pas Benoît Poelvoorde. Il est vrai que ce n’est pas aux abords d‘un centre commercial provincial que l’on peut s’attendre à rencontrer un acteur aussi connu. Il est vrai surtout que Benoît Poelvoorde retaillé en punk SDF, faisant la manche avec son petit chien en laisse, peut tromper son monde.
«Le Grand Soir» a été réalisé par Benoît Delépine et Gustave Kervern, les mêmes qui avaient réalisé avec brio, charme, poésie, lyrisme et humour, le film «Mammuth», du nom d’une fameuse moto.
«Le Grand Soir» c’est d’abord le grand cadre des zones d’activités commerciales construites en périphérie des villes, uniquement et désespérément composées de magasins et de parkings. On appelle cela une ZAC et c’est aussi ce que l’on aurait pu tatouer sur le front du personnage interprété par Poelvoorde, mais son nom de zone est «Not».
«Le Grand Soir» c’est la dérive de deux frangins. Il y en a un en phase de séparation conjugale et qui peine par ailleurs à vendre des matelas à mémoire de forme. Albert Dupontel est à bloc dans ce rôle de type qui finit par craquer, qui se bat avec un arbre ou qui cherche à s’incendier dans un supermarché en s’arrosant d’essence.
Son frère lui, est dehors, dans le monde des gens qui n’existent plus, dans le monde des gens détruits, qui caractérisent peu ou prou l’univers punk où le mot «destroy» a longtemps servi de login à côté d’autres expressions de type «no future». Le personnage de Poelvoorde explique à son frère proprement éjecté du monde normé que derrière le miroir, on marche sans but, droit devant soi et que, dans ces conditions, le cerveau a à peine besoin de fonctionner.
Dans ce film, Benoît Delépine et Gustave Kervern sont allés un cran plus loin que Mammuth, sans recherche de séduction et jusqu’au bout d’une certaine logique que l’on peut comparer à la différence qui existe entre «Lost in Translation» et « Somewhere » de Sophia Coppola.
On se débarrasse du charme, on fait à peine de l’humour et on s’en va toucher les limites au-delà desquelles il n’y a plus besoin de caméra. Dans le cas des deux auteurs du «Grand Soir» comme dans celui de Coppola il y aurait une certaine nécessité à les voir remonter un jour d’un cran sauf à faire des ultimes périphéries scénaristiques une valeur refuge réservée aux réalisateurs et spectateurs déjantés ou encore amateurs du genre.
Attention, ce film comporte des performances d’acteurs qui peuvent choquer. Il y a cette scène où les deux fils parlent en même temps à leur père comme si leur voisin de frère n’existait pas et l’on ne peut s’empêcher de penser que là, à ce moment précis, il y a comme un effet recherché d’exploit scénique, bon à inscrire plus tard dans une anthologie. Oui mais bon.
A trop fouiller l’ennui comme dans «Somewhere» ou la désespérance comme dans «Le Grand Soir», à trop s’appliquer dans cette direction finalement, on prend le risque de perdre des spectateurs en route, ce qui n’est pas le but fondamental du cinéma. Dans «Le Grand Soir» il manque quelques ingrédients de saveur. Cette absence d’éléments de séduction, n’en fait pas un film inintéressant, loin s’en faut. Mais ainsi construite, aussi logiquement, cette histoire qui ne cherche pas à plaire, atteint malheureusement son but.
Merci cher critique punk, ce film est effectivement « never mind the bollocks » jusqu’au bout de la crête. Libre, rebelle, en marge, ignoré, mais rien à f…
« Oui mais bon » : voilà parfaitement résumé le sentiment ressenti en quittant la salle.
Dommage, c’était plein de bonnes intentions…