On est en 1733. Un meurtre vient d’avoir lieu, celui d’une riche baronne abritant Voltaire dans son hôtel cossu qui borde les jardins du Palais Royal. L’écrivain philosophe est sommé par la police de trouver le coupable, faute de quoi c’est lui qui sera embastillé. Hanté par la frayeur de retourner au cachot, l’homme de lettres a à cœur d’obtempérer. Il est aidé dans son entreprise par la marquise Emilie du Chatelet dont l’Histoire retient qu’elle fut longtemps sa maitresse.
Trois héritières se disputent l’héritage, prêtes à tout pour parvenir à leurs fins…. Telle est la trame de la fiction historico-policière que publie Frédéric Lenormand aux Editions JC Lattès. Une alchimie littéraire originale – et réussie – qu’on imagine volontiers transposée en pièce de théâtre.
L’intrigue policière n’est que prétexte à évoquer le Paris de l’époque et la vie de l’illustre penseur. Disons, pour intriguer le lecteur, qu’il est question de loukoum, d’anus de chat statufié en bois, de code d’Istanbul, de vase de Chine… Cocasse inventaire à la Prévert derrière lequel se structure un ouvrage drôle, enlevé et documenté.
Erudition n’est pas prétention. Ni prostration ! Frédéric Lenormand emprunte à son héros, Jean-Marie Arouet (dit Voltaire) son goût prononcé des joutes oratoires pour faire pétiller les moindres réparties prêtées à ses personnages (10 au total). Leurs dialogues sont à double sens, aussi aigus que les lames du poignard qui larda la baronne. Leurs raisonnements ouvrent sur autant de tiroirs qu’un semainier où enfouir ses volontés testamentaires…
On sait que l’homme emperruqué était soucieux de son aisance matérielle. Le voici dépeint comme un pique assiette, avant tout préoccupé de qui lui fournira demain le gite et le couvert. On s’amuse de le voir assister à des mortifications jansénistes, lui qui toute sa vie combattit le fanatisme religieux. On rit de voir ce spéculateur patenté abusé par un emprunteur, ce persifleur avéré se transformer en flagorneur au point d’encenser un air de pipeau, ce persécuté politique devenir expert en l’art de retourner son pourpoint.
Le Voltaire réinventé par Lenormand exaspère ses interlocuteurs avec ses Lettres philosophiques rédigées lors de son exil à Londres. Il leur rebat les oreilles de « son Euriphyle », œuvre théâtrale que d’aucuns osent confondre avec une maladie de peau !
C’est donc une caricature du fameux penseur que nous brosse ici Frédéric Lenormand, pour les besoins de la cause policière et comique. Sans jamais aller jusqu’à rendre antipathique l’homme à la canne au bec-de-corbin multi-usages ! Sa marquise du Chatelet se trouve affublée de la même amplification. Enceinte jusqu’aux yeux des œuvres d’un mari quelque peu absent (dans la vie comme dans l’œuvre), l’aristocrate en jupon mène l’enquête tambour battant se souciant comme d’une guigne de l’enfant qu’elle porte. Le duo de limiers qu’elle forme avec Voltaire offre un savoureux contraste, elle aux chiffres, lui aux lettres. Un alliage de circonstance plutôt réjouissant pour qui sait l’orageuse liaison qu’ils entretinrent durant des années.
Ce premier ouvrage de la série « Voltaire mène l’enquête » a reçu le Prix Arsène Lupin (du roman policier) et le Prix Historia (roman policier historique). Sous le titre « Meurtre dans le boudoir », un second tome vient de sortir aux Editions JC Lattès. Tout incite à lui réserver le même accueil.
Ce roman est un régal. D’abord par son originalité : résistante cette pauvre baronne qui est passée par le poison, l’étouffement et le poignard servis par trois pestes dont on ne sait laquelle elle est la pire. Vont s’en mêler un couple improbable : Voltaire (comme on ne l’a jamais vu : perruques et clystères, prêteur mais quêtant son gîte) et sa comparse mathématicienne acharnée et par goût encore! Ajoutez un abbé goulu et benêt bon à tout faire, un lieutenant de police titillant ses lettres de cachet mais soulagé in petto de voir l’affaire résolue et savourez sans modération, philosoiphez avec jubilation et savourez ces répliques dignes de ce siècle que l’on regrette.