A Nice, dans la gare SNCF «certifiée» (mais de quoi?), les obsédés des moteurs et de l’empreinte carbone se pressent pour le GPF1 de Monaco ( Grand Prix Formule I). Ils croisent sans les voir les fanatiques des images animées se rendant à Cannes pour célébrer ce qu’un écrivain italien * a surnommé, parfois imprudemment, «le septième art». Bousculades, nervosité, impatience. Les touristes doivent être comme les amoureux : ils sont mille et se croient seuls au monde.
A l’autre bout de la ville, une poignée de visiteurs pousse la porte d’un palais aussi discret (de l’extérieur) que fastueux (à l’intérieur). Dans le Vieux-Nice dont les innombrables touristes ne parviennent pas à dénaturer le charme, le Palais Lascaris abrite une exceptionnelle collection d’instruments anciens, l’une de plus importantes d’Europe. Même si les Niçois eux-mêmes ne semblent pas toujours au courant de ces trésors entreposés avec soin dans leur ville.
Ce palais du XVIIe siècle n’est pas à proprement un musée, mais il ne manquera de le devenir officiellement un jour ou l’autre. Plus de cinq cents pièces en réserve dont des raretés absolues : seul, en France, le musée de La Villette offre un tel témoignage de l’inépuisable ingéniosité humaine pour reproduire ou fabriquer des sons.
Clavecins, orgues, épinettes, pianos droits, pianos à queue, pianos carrés, piano-forte, pianinos, pianos-harpes, violes en tout genre, luths, mandores et mandolines, guitares baroques ou romantiques… Autant d’instruments fabriqués aux époques où la beauté de l’objet comptait autant que la qualité du son (décorations somptueuses des clavecins, rosaces finement ciselées des guitares, têtes de violes sculptées comme des proues de navire). Plaisir des yeux, mais aussi, dans ce Palais des sons oubliés, plaisir des oreilles : beaucoup de ces instruments sont en état de jeu.
A l’origine, comme souvent, la passion d’un homme, l’amateur éclairé du XIXe siècle Antoine Gautier (mort en 1904) qui lègue à sa ville les 225 instruments patiemment collectés. Une centaine d’années plus tard, le palais hérite du fonds prestigieux des maisons Gaveau Pleyel Erard : des claviers bien sûr, dont certains ont été joués par Liszt, mais aussi d’importantes archives de correspondances, tableaux, objets divers. Un trésor incomparable que le propriétaire, une grande société d’assurances, a décidé de confier à la ville de Nice plutôt qu’à Paris… pour le plus grand bonheur du conservateur, l’organologue américain Robert Adelson. Plus récemment, l’association privée Ad libitum, laisse en dépôt un grand nombre d’instruments, principalement des piano-forte dont la plupart en état de jeu, ce qui en décuple l’importance.
On comprendra dès lors l’intérêt de l’exposition «Le clavier vivant» que propose, jusqu’au 29 octobre, le Palais Lascaris. Cent cinquante instruments sont sortis des réserves pour cette promenade musicale dans le passé, et les concerts n’y sont pas rares. Le visiteur, qui arrive ici souvent par hasard (l’exposition ne faisant pas l’objet d’une réelle publicité) aura peut-être l’excellente surprise d’y trouver quelques jeunes baroqueux répétant une sonate en trio de Bach ou un duo luth et violoncelle de Geminiani. Sur instrument d’époque évidemment.
( *) Riccioto Canudo, en 1923.
Palais Lascaris, 15 rue Droite, Vieux-Nice. Jusqu’au 29 octobre. Fermé le mardi Tél. 04.93.80.08.74
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