1665, la Grande Peste a jeté son ombre nauséabonde sur Londres. Les époux Snelgrave, qui tuent le temps dans leur maison bourgeoise, subissent un prolongement de leur quarantaine du fait de l’irruption intempestive d’un couple de gueux. Voilà brossée à gros traits la sombre, très sombre ambiance à l’entame d’Une puce, épargnez-la, la pièce de l’américaine Naomi Wallace présentée en alternance jusqu’au 12 juin au Théâtre Ephémère de la Comédie Française.
Une pièce contemporaine, créée à Londres en 1995, qui nous offre, par la magie de l’interprétation, du cadre et de la mise en scène, une expérience déroutante. On pense à des films admirablement angoissants comme The Servant de Joseph Losey pour la confrontation du maître et du valet, ou Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock pour l’écrasant symbole des corbeaux qui envahissent la scène. Ou à Bob Wilson pour le minimalisme, les gants rouges ou la lumière stroboscopique qui éblouit le public entre chaque scène.
Ce huis clos réserve quelques moments d’ennui, mais on soupçonne qu’ils sont là justement pour nous faire partager plus sensiblement le désespoir des quatre personnages cloitrés, renseignés sur le monde extérieur ou ce qu’il en reste (des cadavres, toujours plus de cadavres) uniquement par un gardien qui a tout du vautour. Dans cet espace confiné, qui sent le renfermé et le vinaigre répandu pour raisons sanitaires, la maladie gagne les esprits avant les corps. La supériorité du bourgeois bien sûr ne fait pas longtemps illusion, elle ne tient finalement qu’à une paire de souliers comme nous le montre une scène remarquable.
Alors que les prisonniers n’ont plus que quelques mètres carrés pour survivre, les récits de grand large du marin intrus résonnent comme le souvenir d’un monde à jamais perdu.