Comme ta plupart des clichés, celui-ci a la vie dure. Figure majeure de la sculpture au XIXe siècle, Jean-Baptiste Carpeaux ne doit pas seulement sa popularité au scandale provoqué par le groupe de La Danse, commande de l’architecte Garnier pour l’opéra de Paris en 1865 (*). La nudité représentée sans artifices, à une époque où la pruderie tenait lieu de certificat de bonne conduite, fut à l’origine du fameux scandale.
Au fil des ans, l’anecdote (une cabale puritaine et le jet d’une bouteille d’encre dont on parvint difficilement à effacer les traces) a peut-être pris le pas sur le réel génie du sculpteur qui fut tout sauf un artiste maudit. Même si Charles Garnier l’appela «la terreur des architectes », Carpeaux fut, de son vivant, reconnu des princes gouvernants, encensé par la critique et admiré des artistes, notamment de Rodin, qui fut un temps son élève. On sait aussi que l’auteur du Penseur avait fait l’acquisition, en 1912, d’un bronze d’Ugolin.
Le sculpteur né a Valenciennes en 1827, fils d’un petit entrepreneur de maçonnerie, formé d’abord aux écoles d’art de sa ville natale, se référa très vite aux plus grands pour parvenir à la réalisation de chefs-d’œuvre absolus (Pêcheur napolitain, Jeune Fille à la coquille, Ugolin et ses enfants…). Mais c’est principalement à Michel-Ange qu’il voua une admiration totale, pour ne pas dire une véritable adulation.
L’un des mérites de l’exposition qui vient de s’ouvrir au musée de Valenciennes (Michel-Ange au siècle de Carpeaux) est précisément de resituer l’œuvre dans ce contexte et de montrer de façon patente la filiation existant entre le génie italien et le sculpteur français. «On ne peut se faire une idée de Michel-Ange, écrit Carpeaux, il écrase tout ; il est terrible d’aspect, foudroyant de caractère et incomparable comme science».
Prix de Rome en 1854, pensionnaire de la villa Médicis deux ans plus tard, le sculpteur français trouve souvent refuge, à Rome, dans le seul lieu digne de ses aspirations : la chapelle Sixtine. Les fresques le fascinent et, en tout premier lieu, Le Jugement dernier : toute sa vie, il reproduira, de mémoire, des dessins de Michelangelo. «Quand un artiste se sent pâle et froid, dit Carpeaux, vite il court près des œuvres de Michel-Ange pour se réchauffer comme aux rayons du soleil.» Cette vénération le conduit même à l’identification : ne lui trouve-t-on pas un petit air de ressemblance avec le génie italien ? «On m’a souvent dit que j’avais une tête à la Michel-Ange» se réjouit-il. Lorsqu’il se fiancera, en 1869 avec Amélie-Clotilde de Monfort, fille du général gouverneur du palais du Luxembourg, il emmènera sa fiancée se recueillir devant le moulage de la Madone Medici, à l’école des Beaux Arts de Paris…
Riche de quelque 7000 dessins légués par un proche de l’artiste et d’une centaine de carnets, le musée de Valenciennes (qui s’enorgueillit par ailleurs de plusieurs pièces majeures de Rubens, Van Dyck, Jordaens, et, bien sûr, Watteau, autre Valenciennois) a opéré un choix significatif. Mehdi Korchane, le commissaire de l’exposition et la conservatrice Emmanuelle Delapierre, ont sans doute tenu à privilégier l’émotion esthétique. Et l’on est parfois saisi devant le réalisme et la vigueur des pièces présentées.
C’est sans doute un hasard, mais cette exposition se tient exactement un siècle après la grande rétrospective Carpeaux présentée au Jeu de Paume à Paris en 1912 et dont Apollinaire fit le compte rendu dans L’Intransigeant du 15 mai :«Le Second Empire fut une époque de style. Et l’expression la plus pure de ce style artistique se trouve dans les œuvres du sculpteur Carpeaux qui a été le plus complètement du monde l’homme de son époque».
Musée des Beaux Arts de Valenciennes, jusqu’au 1er juillet. Du Mercredi au dimanche de 10h à 18h.
(*) On sait moins en revanche que Carpeaux avait d’abord été chargé de représenter La Musique. Il échangea ce projet avec son confrère Eugène Guillaume qui, lui, préférait traiter ce thème plutôt que celui de La Danse.. « J’ai toujours adoré la danse » lui aurait déclaré Carpeaux.