Au fur et à mesure de sa décomposition, un cadavre convoque différentes catégories de mouches. Cette information, contenue dans le deuxième roman policier d’Odile Bouhier, conforte une opinion que le lecteur avait pu se faire dans le premier : l’auteur se renseigne sur ce qu’il écrit. «De mal à personne», après «Le Sang des bistanclacques», narre avec une intrigue différente, les débuts de la police scientifique en France et plus particulièrement à Lyon. Avec Odile Bouhier on peut le dire, la famille des auteurs de polars, de bons polars, vient de s’agrandir.
Dans le «Sang des bistanclacques», ce drôle de nom étant dû au bruit particulier que faisaient autrefois les machines à tisser, le lecteur apprenait à connaître le professeur Salacan d’une part et le commissaire Kolvair de l’autre. A noter que l’auteur fait de ce dernier un ami de Guillaume Apollinaire dans les tranchées. Il est bien rare que le co-fondateur des Soirées de Paris apparaisse ainsi comme personnage de roman. Quoiqu’il soit, Salacan le scientifique et Kolvair le policier, faisaient cause commune autour du meurtre d’une femme, salement torturée avant d’être achevée. Avec leurs méthodes scientifiques d’investigation, des approches inédites, les deux hommes concurrençaient ainsi les Brigades du Tigre qui opéraient à Paris.
«De mal à personne» se distingue notamment du premier car l’auteur a semble-t-il donné une place plus importante au commissaire Kolvair ce qui peut préfigurer le début d’une série. D’autre part Odile Bouhier a pris son élan, le rythme s’est allégé, on entre dans l’histoire avec facilité tout comme l’on s’attache à suivre Kolvair, amputé d’une jambe en raison à la guerre. Un homme qui mélange de la cocaïne à son tabac et dont l’appétit de sensualité transparaît davantage dans ce second opus.
Les clés du genre sont bien là. On se surprend à essayer de deviner, en se lissant du doigt des moustaches imaginaires, qui est le coupable du premier crime puis du second. La mécanique fonctionne. Il reste qu’Odile Bouhier plante avec talent le décor des rues lyonnaises et restitue parfaitement comme si elle l’avait connue, la vie en France dans l’entre-deux guerres. On y apprend par exemple comment travaillaient les bourreaux d’enfants avant 1824 et on aurait presque préféré ne pas l’apprendre. Quant aux personnages ils sont bien là et prennent chair très vite. Le commissaire Kolvair voit sa substance se fortifier. Le choix travaillé des mots amène naturellement les images qui vont avec, et fait de nous lecteurs, des témoins directs de la scène criminelle.
Une bonne intrigue, du rythme, une ambiance enveloppante, «de Mal à personne» est un second roman efficace. Le premier installait un style et préfigurait un genre, le second achève la période de rodage. L’idéal serait de le lire dans un TGV Paris-Lyon. De quoi changer l’ambiance de ces trains stériles où l’on ne peut même pas fumer une pipe en chapeau et costume trois pièces.