Une houle d’aubes mauves vient se placer à l’orée du chœur de l’église. Elles sont neuf. Neuf longues robes de communion couleur lilas à envelopper des choristes originaires d’Afrique, des USA et d’Outre-mer. Trois hommes et six femmes qu’accompagnent un pianiste et un saxophoniste ténor.
On peine à imaginer que de si modestes moyens puissent emplir et, mieux, faire vibrer l’immense volume de la cathédrale américaine de l’avenue George V à Paris… Et pourtant dès les premières notes, surtout si vous êtes bien placés, un frisson vous parcourt l’échine.
Pendant une heure et demie, « Gospel Dream », l’ensemble mixte et cosmopolite de chanteurs noirs créé en 1990 par le révérend congolais Michel M’Passy imprime à l’édifice religieux (bondé) son rythme. Il lui insuffle sa joie de vivre sous la maîtrise d’une jeune et efficace chef de chœur. C’est elle qui imprime aux voix le mouvement et l’ampleur, elle qui d’un simple et sec claquement de doigt accélère ou ralentit l’allure, fait monter ou redescendre les décibels. L’âme est prise de vertige.
Portés par l’expression d’une foi revendiquée, les chants authentiques américains alternent avec les mélopées africaines en chawali, aisément identifiables. L’hymne de l’Afrique du Sud est entonné par le groupe avec une ferveur particulière, saxophoniste compris. A l’ultime mélopée chantée (« O Happy day ! »), on a préféré celle qui l’a immédiatement précédée, et qui s’achevait par un « Amen » si bouleversant qu’on crut y percevoir la blue note… L’improvisation étant la règle dans le gospel, cet ordre n’a rien d’établi.
Gospel Dream fonctionne comme une famille. Il met donc chaque choriste à l’honneur (sauf une, trop nouvellement entrée ?), ce qui permet d’individualiser les voix, du baryton à la soprano. On n’a pu qu’être ébloui par la puissance et la ferveur qui se dégageait du mince et fragile buste et de ce visage encadré de fausses tresses… Son souffle vient de loin. Et quand la chef de chœur s’élança – seule ! – au milieu de la nef pour entonner a capella un nouvel air, on retint son souffle. Il fallait oser.
On se retient aussi (en fait pas très longtemps…) de claquer des mains, de se lever et de se balancer à leur rythme. L’assistance est d’abord réservée. Mais la musique est entraînante, l’exubérance des chanteurs communicative, leur interpellation irrésistible, leur gentillesse entreprenante. Qu’il soit croyant ou païen, chaque participant qui garde en mémoire les horreurs de la violence raciale ne peut décliner l’invitation souriante à serrer la main à son voisin au nom de l’échange, du partage… Hommage collectif à la souffrance des noirs du temps de l’esclavage puis de la ségrégation raciale (God signifie Dieu, et spell langage), le gospel a pour lointains ancêtres les Negros Spirituals, ces chants individuels faits de répétitions que les esclaves fredonnaient sur leur lieu de travail pour se donner du courage à l’ouvrage.
En écoutant Gospel Dream, on ne décèle ni haine, ni invective. Ni même d’exaltation exacerbée comme on peut parfois le ressentir dans certaines églises de Harlem. Ici, l’Alléluia a la couleur des bons sentiments.
Le concert est payant. A relativement peu de frais, cette sympathique chorale fait passer un agréable moment et instille dans les cœurs une belle dose d’optimisme. Réjouissant en ces temps d’animosité et de crise.
Concerts (à 20 h 30) les 1er mars et le 9 avril prochain en l’Eglise Saint-Germain-des-Prés, le 3 mars à la Cathédrale Américaine, le 10 mars à l’Eglise Saint-Roch.
S’il vaut mieux vaut réserver (01 43 14 08 10), les tickets sont disponibles à l’entrée du concert, le jour même de la prestation.